Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/168

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Comptez que nous sommes tous des imbéciles. Ce n’est point avec des livres qu’on obtient des grâces de la cour, et l’apologétique de Tertullien ne fut pas lue seulement d’un marmiton de cuisine de l’empereur.

Les bons livres peuvent faire des philosophes, encore n’est-ce que chez les jeunes gens.

Les autres ont pris leur pli. C’est ce qui fait que M. de Crosne est entièrement pour nous, indépendamment même des formes juridiques. Mais il faut des formes à MM. d’Aguesseau et Gilbert, qui ne sont point du tout philosophes. Il faut auprès des ministres de très-grandes protections, et point de livres. Un bon ouvrage peut porter son fruit dans quinze ou vingt ans, mais aujourd’hui il s’agit d’obtenir la protection de Mme  de Pompadour. Le grand point est d’intéresser son amour-propre à faire autant de bien à l’État que Mme  de Maintenon a fait de mal. Je répondrais bien de sa bonne volonté et de celle de MM. les ducs de Choiseul et de Praslin ; mais avec tout cela, l’affaire ne serait pas encore faite, tant il est difficile de changer ce qui est une fois établi. C’est assurément une très-belle entreprise. Elle demande encore plus de soins que l’affaire des Calas.

Je mourrais bien content si j’avais mis une pierre à cet édifice.

Nous raisonnerons de tout cela avec M. Moultou, l’homme du monde que j’estime le plus, et en qui j’ai la plus grande confiance.


5592. — DE FRÉDÉRIC,
landgrave de Hesse-Cassel.
Cassel, 13 mars.

Monsieur, c’est toujours avec un sensible plaisir que je reçois vos lettres. Il y règne un feu auquel l’on peut aisément découvrir le Nestor et le père de la littérature. Que je serais charmé si votre santé vous permettait, dans la belle saison, de venir ici, et de renouveler notre ancienne amitié !

Vous avez bien raison de n’avoir jamais pu vous faire à voir représenter à un chapon les rôles des empereurs romains. Ces cris perçants et ces cadences à la fin des airs m’ont toujours révolté, et j’avoue que, quoique j’en aie un qui soit assez bon, je préférerai toujours la tragédie et la comédie françaises. Vous pourriez, monsieur, donner à mon spectacle un nouveau lustre, et qui le mettrait en réputation : ce serait de m’envoyer une tragédie qui n’aurait point encore paru. Fouillez seulement dans votre portefeuille, et alors vous pourrez aisément me faire ce plaisir.

Je suis avec les sentiments d’amitié la plus sincère, monsieur, votre très-humble, etc.


Frédéric, landgrave de Hesse.