Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/246

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la comédie. Je vous prie, monsieur, de mettre ce projet en exécution[1], et rien alors ne saurait passer mon contentement. Je vous écris d’un endroit où je me souviens toujours avec plaisir d’avoir passé des moments bien agréables par les charmes de votre conversation. Nous y avons grande compagnie, et j’y ai fait construire dans l’orangerie un petit théâtre où l’on joue trois fois la semaine la comédie. Tantôt c’est comédie française, tantôt c’est comédie italienne. J’ai un arlequin excellent, qui est fort naturel, qui n’a aucun lazzi forcé, et qui ne charge pas trop son rôle. Nous eûmes dernièrement l’Avare de Molière. J’eus la curiosité de lire le lendemain l’original, duquel le comique français l’a copié presque mot pour mot, et je trouvai que l’Aulalaire de Plaute était le tableau original. Molière a substitué une cassette au lieu d’un pot ; dans Plaute, l’on entend les cris d’une femme en travail d’enfant derrière le théâtre : ce qui n’aurait pas été fort bien reçu sur le théâtre français. Dans Molière, c’est un enlèvement qui se termine par un mariage ; l’on rend la cassette dans celui-ci, et dans Plaute, l’avare donne le trésor encore avec la fille. Les cris d’Harpagon et d’Euclion sont les mêmes après qu’ils s’aperçoivent que leur cassette a été volée. Enfin le dénoùment de Molière est des plus forcés ; il fait venir un homme de bien loin pour faire tous ces mariages, et pour faire faire un habit neuf à Harpagon, au lieu que le dénoùment de Plaute s’amène beaucoup plus naturellement. L’avare y meurt, et garde sa passion jusqu’au tombeau.

J’ai vu M. le professeur Mallet de Genève[2] ; j’en ai été fort content. Il me paraît être un homme d’esprit ; je l’ai engagé à écrire l’histoire de la Hesse : il va commencer incessamment la première partie, qui ira jusqu’à Philippe le Magnanime ; et la seconde, qui sera la plus intéressante et la plus difficile, ira jusqu’à nos jours. Je lui ferai donner de mes archives toutes les pièces justificatives dont il pourrait avoir besoin. Il désire d’écrire seulement un abrégé de cette histoire, voulant écrire pour tout le monde, et non simplement pour les savants.

Je vous prie de me donner souvent de vos nouvelles, auxquelles je m’intéresse beaucoup.

Je suis avec bien de la considération, monsieur, votre très-humble, etc.


Frédéric, landgrave de Hesse.

5668. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 8 juin.

Nous ne comptions pas, madame, que Mme de Pompadour partirait avant nous. Elle a fait un rêve bien beau, mais bien court. Notre rêve n’est pas si brillant ; mais il est plus long et peut-être plus doux : car, quoiqu’elle eût toutes les apparences

  1. Voyez la lettre du 8 avril.
  2. Celui dont il est parlé page 171.