Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/347

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sur l’aventure du prince Ivan, qui était en effet, comme elle le dit, une espèce de bête féroce. Il vaut mieux, dit le proverbe, tuer le diable que le diable ne nous tue. Si les princes prenaient des devises comme autrefois, il me semble que celle-là devrait être la sienne. Cependant il est un peu factieux d’être obligé de se défaire de tant de gens, et d’imprimer ensuite qu’on en est bien fâché, mais que ce n’est pas sa faute. Il ne faut pas faire trop souvent de ces sortes d’excuses au public. Je conviens avec vous[1] que la philosophie ne doit pas trop se vanter de pareils élèves ; mais que voulez-vous ? il faut aimer ses amis avec leurs défauts. Adieu, mon cher et illustre philosophe ; c’est dommage que le papier me manque, car je suis en train de bien dire : aussi mon estomac va-t-il mieux. On cherche le siège de l’âme, c’est à l’estomac qu’il est.

P. S. À propos, j’oublie de vous dire que vous n’avez point écrit au président Hénault, qui vous a envoyé son portrait ; cela est assez mal, surtout quand on a eu le temps d’écrire à Mme du Deffant.


5781. — À M. BORDES.
Aux Délices, 6 octobre.

Mme Cramer m’a parlé, monsieur, d’une comédie[2] remplie d’esprit et de bonnes plaisanteries. Si vous voulez quelque jour en gratifier le petit théâtre de Ferney, les acteurs et actrices tâcheront de ne point gâter un si joli ouvrage. Je serai spectateur : car, à mon âge de soixante et onze ans, j’ai demandé mon congé, comme le vieux bonhomme Sarrazin[3]. Il me paraît impossible qu’avec l’esprit que vous avez vous n’ayez pas fait une très-bonne pièce ; j’ai vu de vous des choses charmantes dans plus d’un genre. Nous vous promettons le secret, et nous remplirons, Mme Denis et moi, toutes les conditions que vous nous imposerez.

Permettez-moi de vous parler d’un livre nouveau qu’on m’attribue très-mal à propos ; il est intitulé Dictionnaire philosophique. L’auteur est un jeune homme assez instruit, nommé Dubut. C’était un apprenti prêtre qui a renoncé au métier, et qui paraît assez philosophe. Comme on prétend qu’il n’est plus permis en France de l’être, je serais très-fâché qu’on imprimât cet ouvrage à Lyon, car je m’intéresse fort à ce pauvre M. Dubut. Pourriez-vous avoir la bonté de me dire si en effet on imprime le Diction-

  1. voyez lettre 5764.
  2. Les œuvres de Bordes contiennent six comédies. C’est peut-être de celle qui est intitulée le Retour de Paris que parle Voltaire.
  3. Acteur de la Comédie française ; voyez tome XXXIV, page 40.