Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mille respects à tout ce qui vous environne ; je mets à la tête madame votre femme et monsieur votre frère.


5787. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 10 octobre.

Vous me paraissez, mon illustre maître, bien alarmé pour peu de chose ; j’ai déjà tâché de vous rassurer par ma lettre précédente[1], et je vous répète que je ne vois pas jusqu’ici de raison de vous inquiéter. Et quelle preuve a-t-on que vous soyez l’auteur de cette production diabolique ? et quelle preuve peut-on en avoir ? et sur quel fondement peut-on vous l’attribuer ? Vous me mandez[2] que c’est un petit ministre postulant, nommé Dubut, qui est l’auteur de cette abomination ; au lieu du petit ministre Dubut, j’avais imaginé le grand diable Belzébuth : je me doutais bien qu’il y avait du Buth à ce nom-là, et je vois que je ne me trompais guère. S’il ne tient qu’à crier que l’ouvrage n’est pas de vous, ne vous mettez pas en peine ; je vous réponds, comme Crispin[3], d’une bouche aussi large qu’il est possible de le désirer. Il est évident, comme je vous l’ai dit, que cette production de ténèbres est l’ouvrage ou d’un diable en trois personnes, ou d’une personne en trois diables. À vous parler sérieusement, je ne m’aperçois pas, comme je vous l’ai dit, que cette abomination alphabétique cause autant de scandale que vous l’imaginez, et je ne vois personne tenté de s’arracher l’œil à cette occasion, comme l’Évangile[4] le prescrit en pareil cas. D’ailleurs les pédants à grand rabat[5], les seuls à craindre en cette circonstance, sont allés voir leurs confrères les dindons ; et quand ils reviendront de leurs chaumières, le mal sera trop vieux pour s’en occuper. Ils n’ont rien dit à Saül[6], que diantre voulez-vous qu’ils disent à Dubut ?

Vous me faites une querelle de Suisse, que vous êtes, au sujet du Dictionnaire de Bayle ; premièrement, je n’ai point dit : Heureux s’il eût plus respecté la religion, et les mœurs ! Ma phrase est beaucoup plus modeste[7] ; mais d’ailleurs qui ne sait que, dans le maudit pays où nous écrivons, ces sortes de phrases sont style de notaire, et ne servent que de passe-port aux vérités qu’on veut établir d’ailleurs ? Personne au monde n’y est trompé, et vous me cherchez là une mauvaise chicane. Je trouverais, si je voulais, à peu près l’équivalent de ce que vous me reprochez dans plusieurs ouvrages où assurément vous ne le désapprouvez pas, et jusque dans le Dictionnaire

  1. Lettre 5780.
  2. Voyez lettre 5777.
  3. Dans le Deuil, comédie d’Hauteroche, scène i.
  4. Matthieu, v, 29 ; Marc, ix, 116.
  5. Les conseillers du parlement.
  6. Publié en 1763 ; voyez tome V, page 571.
  7. Voyez ci-dessus la note 3, page 332.