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5472. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
À Ferney, le 4 décembre.

Mon cher et respectable confrère, celui qui vous grave n’entend pas mal ses intérêts : il est bien sûr que son burin deviendra célèbre sous la protection de votre plume. Je vous demande en grâce que, si on met au bas de votre portrait ce petit vers,


Qu’il vive autant que son ouvrage[1] !


on ajoute : Par Voltaire et par le public.

Il est bien triste que Mme du Déffant ne puisse voir votre estampe.


La lumière est pour elle à jamais éclipsée ;
La lumièMais vous vous entendez tous deux.
L’imagination, le feu de la pensée,
L’imagination, Valent peut-être mieux
L’imagination, ValenQue deux yeux.
Je me défais des miens, et j’en suis plus tranquille ;
La lumièJ’en ai moins de distractions.
Lorsque le cœur calculé renonce aux passions,
La lumièDeux yeux sont un meuble inutile.


Cela n’est pas tout à fait vrai, mais il faut tâcher de se le persuader. Mon espèce d’aveuglement est tout à fait drôle : une ophthalmie abominable m’ôte entièrement la vue quand il y a de la neige sur la terre, et je recommence quelquefois de voir honnêtement quand le temps se met au beau. Je vous prie, monsieur, vous qui avez de bons yeux (et cela doit s’entendre de plus d’une manière), de lire ce petit Mémoire historique ; vous y trouverez des choses curieuses.

J’ai envoyé à Mme du Deffant un conte[2] à dormir debout, qui est d’un goût un peu différent. Les aveugles s’amusent comme ils peuvent.

Tout le Corneille est imprimé ; il y en a douze tomes. La Bérénice de Racine est à côté de celle de Corneille, avec des remarques ; l’Héraclius espagnol est au devant de l’Héraclius français ; la Conspiration de Brutus et de Cassius contre César, de ce fou de

  1. Vers de Voltaire ; voyez tome XXXVI, page 320.
  2. Ce qui plait aux Dames ; voyez ci-dessus, page 37.