Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/520

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l’abbé Bazin ; je souhaite que vous en soyez aussi contente que l’impératrice Catherine II, à qui le neveu de l’abbé Bazin l’a dédiée. Vous remarquerez que cet abbé Bazin, que son neveu croyait mort, ne l’est point du tout ; qu’il est chanoine de Saint-Honoré, et qu’il m’a écrit pour me prier de lui envoyer son ouvrage posthume. Je n’en ai trouvé que deux exemplaires à Genève, l’un relié, l’autre qui ne l’est pas ; ils seront pour vous et pour M. le président Hénault, et l’abbé Bazin n’en aura point.

Si vous voulez vous faire lire cet ouvrage, faites provision, madame, de courage et de patience. Il y a là une fanfaronnade continuelle d’érudition orientale qui pourra vous effrayer et vous ennuyer ; mais votre ami[1], en qualité d’historien, vous rassurera, et peut-être, dans le fond de son cœur, il ne sera choqué ni des recherches par lesquelles toutes nos anciennes histoires sont combattues, ni des conséquences qu’on en peut tirer. Quelque âge qu’on puisse avoir, et à quelque bienséance qu’on soit asservi, on n’aime point à avoir été trompé, et on déteste en secret des préjugés ridicules que les hommes sont convenus de respecter en public. Le plaisir d’en secouer le joug console de l’avoir porté, et il est agréable d’avoir devant les yeux les raisons qui vous désabusent des erreurs où la plupart des hommes sont plongés depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Ils passent leur vie à recevoir de bonne foi des contes de Peau d’Âne, comme on reçois tous les jours de la monnaie sans en examiner ni le poids ni le titre.

L’abbé Bazin a examiné pour eux, et, tout respectueux qu’il paraît envers les faiseurs de fausse monnaie, il ne laisse pas de décrier leurs espèces.

Vous me parlez de mes passions, madame ; je vous avoue que celle d’examiner une chose aussi importante a été ma passion la plus forte. Plus ma vieillesse et la faiblesse de mon tempérament m’approchent du terme, plus j’ai cru de mon devoir de savoir si tant de gens célèbres, depuis Jérôme et Augustin jusqu’à Pascal, ne pourraient point avoir quelque raison. J’ai vu clairement qu’ils n’en avaient aucune, et qu’ils n’étaient que des avocats subtils et véhéments de la plus mauvaise de toutes les causes. Vous voyez avec quelle sincérité je vous parle ; l’amitié que vous me témoignez m’enhardit ; je suis bien sûr que vous n’en abuserez pas. Je vous avouerai même que mon amour extrême pour la vérité, et mon horreur pour des esprits impérieux qui ont

  1. Le président Hénault.