Je souhaite à mon cher frère, pour l’an de grâce 1764, une santé inébranlable ; quelque excellente place dans la finance, qui lui laisse le loisir de se livrer aux belles-lettres. Je lui souhaite une vinée abondante dans la vigne du Seigneur, avec l’extirpation de l’infâme.
Je souhaite à mon frère Thieriot un zèle moins tiède. Que dites-vous de ce ronfleur-là, qui ne m’a pas dit seulement un mot du conte de ma mère l’oie, que je lui ai envoyé ?
On parle de l’Anti-financier[1] ; vaut-il la peine qu’on en parle ? Je supplie mon cher frère de vouloir bien me l’envoyer. M. de Laverdy a-t-il déjà changé tout le système des finances ? Il me semble qu’on a banni quinze ou seize personnes avec le sieur Bigot[2]. Pourquoi envoyer quinze ou seize citoyens dépenser leur argent dans les pays étrangers ? Ce n’est pas les punir, c’est punir la France. Nous avons une jurisprudence aussi ridicule que tout le reste ; cependant tout va et tout ira.
[3]S’il y a quelque chose de nouveau, je supplie mon cher frère de m’en faire part. Il est surtout prié de faire commémoration de moi avec frère Platon. N’y a-t-il pas deux volumes de planches de l’Encyclopédie que l’on distribue aux souscripteurs ? Briasson et compagnie m’ont oublié. J’attends cette Encyclopédie pour m’amuser et pour m’instruire le reste de mes jours.
Je vous embrasse le plus tendrement du monde.
Ecr. l’inf…
Je conviens avec vous que les Juifs et les chrétiens ont beaucoup parlé de l’amour fraternel ; leur amour ressemble assez par
- ↑ L’Anti-financier, ou Relevé de quelques-unes des malversations dont se rendent journellement coupables les fermiers généraux, et des vexations qu’ils commettent dans les provinces ; 1763, in-8o de 104 pages. On attribue cet ouvrage à un avocat nommé Darigrand.
- ↑ Voyez la note 1 de la page 56.
- ↑ Le texte qu’on va lire a été donné, en 1822, dans le volume de Lettres inédites publié par M. A.-A. Renouard. Dans la Correspondance de Grimm, où cette lettre avait déjà été rapportée, on lit : « Que fait le tiède Thieriot ? Embrassez, je vous prie, pour moi, le grand frère Platon, que j’aime et que j’honore comme je le dois. N’y a-t-il pas, etc. » Le grand frère Platon est, comme on sait, Diderot. (B.)