Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/118

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que je craigne que ces petites émotions aillent jusqu’au trouble et au tumulte ; mais il est triste de voir une ville remplie d’hommes vertueux et instruits, et qui a tout ce qu’il faut pour être heureuse, ne pas jouir de sa prospérité.

Je suis bien loin de croire que je puisse être utile ; mais j’entrevois (en me trompant peut-être) qu’il n’est pas impossible de rapprocher les esprits. Il est venu chez moi des citoyens qui m’ont paru joindre de la modération et des lumières. Je ne vois pas que, dans les circonstances présentes, il fût mal à propos que deux de vos magistrats des plus conciliants me fissent l’honneur de venir dîner à Ferney, et qu’ils trouvassent bon que deux des plus sages citoyens s’y rencontrassent. On pourrait, sous votre bon plaisir, inviter un avocat en qui les deux partis auraient confiance.

Quand cette entrevue ne servirait qu’à adoucir les aigreurs, et à faire souhaiter une conciliation nécessaire, ce serait beaucoup, et il n’en pourrait résulter que du bien. Il ne m’appartient pas d’être conciliateur ; je me borne seulement à prendre la liberté d’offrir un repas où l’on pourrait s’entendre. Ce dîner n’aurait point l’air prémédité, personne ne serait compromis, et j’aurais l’avantage de vous prouver mes tendres et respectueux sentiments pour vous, monsieur, pour toute votre famille, et pour les magistrats qui m’honorent de leurs bontés.


6154. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 novembre.

Le petit ex-jésuite, mes anges, est toujours très-docile ; mais il se défie de ses forces, il ne voit pas jour à donner une passion bien tendre et bien vive à un triumvir ; il dit que cela est aussi difficile que de faire parler un lieutenant criminel en madrigaux.

Permettez-moi de ne point me rendre encore sur l’article des filles de Genève[1]. Non-seulement la loi du couvent n’est pas que les filles seront cloîtrées dans la ville, mais la loi est toute contraire. Les choses sont rarement comme elles paraissent de loin. Le cardinal de Fleury regardait les derniers troubles de Genève comme une sédition des halles. M. de Lautrec arriva plein de cette idée ; il fut bien étonné quand il apprit que le pouvoir sou-

  1. Voyez lettres 6118 et 6132.