Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/129

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vous en devîntes le perturbateur ; vous composâtes un libelle presque sous mes yeux, vous vous servîtes d’une permission que je vous avais donnée pour un autre ouvrage pour imprimer ce libelle. Enfin vous avez eu tous les torts du monde vis-à-vis de moi ; j’ai souffert tout ce qui pouvait se souffrir, et je supprime tout ce que votre conduite me donna d’ailleurs de justes sujets de plainte, parce que je me sens capable de pardonner.

Vous n’avez rien perdu en quittant ce pays. Vous voilà à Ferney entre votre nièce et des occupations que vous aimez, respecté comme le dieu des beaux-arts, comme le patriarche des écraseurs, couvert de gloire, et jouissant, de votre vivant, de toute votre réputation ; d’autant plus qu’éloigné au delà de cent lieues de Paris, on vous considère comme mort, et l’on vous rend justice.

Mais de quoi vous avisez-vous de me demander des vers ? Plutus a-t-il jamais requis Vulcain de lui fournir de l’or ? Téthys a-t-elle jamais sollicité le Rubicon de lui donner son filet d’eau ? Puisque, dans un temps où les rois et les empereurs étaient acharnés à me dépouiller, un misérable, s’alliant avec eux, me pilla mon livre ; puisqu’il a paru, je vous en envoie un exemplaire en gros caractère. Si votre nièce se coiffe à la grecque ou à l’éclipse, elle pourra s’en servir pour des papillotes.

J’ai fait des poésies médiocres ; en fait de vers, les médiocres et les mauvais sont égaux. Il faut écrire comme vous, ou se taire.

Il n’y a pas longtemps qu’un Anglais qui vous a vu a passé ici ; il m’a dit que vous étiez un peu voûté, mais que ce feu que Prométhée déroba ne vous manque point. C’est l’huile de la lampe : ce feu vous soutiendra. Vous irez à l’âge de Fontenelle, en vous moquant de ceux qui vous payent des rentes viagères, et en faisant une épigramme quand vous aurez achevé le siècle. Enfin, comblé d’ans, rassasié de gloire et vainqueur de l’inf…, je vous vois monter l’Olympe, soutenu par les génies de Lucrèce, de Sophocle, de Virgile et de Locke, placé entre Newton et Épicure, sur un nuage brillant de clarté.

Pensez à moi quand vous entrerez dans votre gloire, et dites comme celui que vous savez : Ce soir, tu seras assis à ma table.

Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.


Fédéric.

6164. — À M. DAMILAVILLE.
27 novembre.

Je ne manquai pas, mon cher ami, de faire chercher, il y a quelques jours, à Genève, chez le sieur Boursier, les deux petites facéties de Neuchâtel[1]. Je les adressai sous l’enveloppe de M. de Courteilles, comme vous me l’aviez prescrit. Je serais fâché

  1. Deux exemplaires de la Collection des lettres sur les miracles, etc. ; Neuchâtel, 1765, in-8o ; voyez tome XXV, page 357.