Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/203

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ce que vous faites de grand et d’utile. Cette prédiction méme vient un peu, comme les autres, après l’événement.

Il me semble que si cet autre grand homme, Pierre Ier, s’était établi dans un climat plus doux que sur le lac Ladoga, s’il avait choisi Kiovie, ou quelque autre terrain plus méridional, je serais actuellement à vos pieds, en dépit de mon âge. Il est triste de mourir sans avoir admiré de près celle qui préfère le nom de Catherine aux noms des divinités de l’ancien temps, et qui le rendra préférable. Je n’ai jamais voulu aller à Rome ; j’ai senti toujours de la répugnance à voir des moines dans le Capitole, et les tombeaux des Scipions foulés aux pieds des prêtres ; mais je meurs de regret de ne point voir des déserts changés en villes superbes, et deux mille lieues de pays civilisés par des héroïnes. L’histoire du monde entier n’a rien de semblable ; c’est la plus belle et la plus grande des révolutions : mon cœur est comme l’aimant, il se tourne vers le nord.

D’Alembert a bien tort de n’avoir pas fait le voyage, lui qui est encore jeune. Il a été piqué de la petite injustice qu’on lui faisait ; mais l’objet, qui est fort mince, ne troublait point sa philosophie. Tout cela est réparé aujourd’hui. Je crois que l’Encyclopédie est en chemin pour aller demander une place dans la bibliothèque de votre palais.

Que Votre Majesté impériale daigne recevoir avec bonté ma reconnaissance, mon admiration, mon profond respect.


Feu l’abbé Bazin.

6245. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
24 janvier.

Je vous avoue, mon divin ange, et à vous aussi, ma divine ange, que je trouve vos raisons pour ne pas venir à Genève extrêmement mauvaises. Je penserai toujours qu’un conseiller d’honneur du parlement de Paris peut très-bien figurer avec un grand trésorier du pays de Vaud. Je penserai qu’un ministre plénipotentiaire d’un petit-fils du roi de France est fort au-dessus de tous les plénipotentiaires de Zurich et de Berne. Je penserai que l’incompatibilité du ministère de Parme avec celui de France est nulle, et qu’on a donné des lettres de compatibilité en mille occasions moins importantes. Enfin, je croirai toujours que ce voyage ne serait pas inutile auprès de Mme de Groslée ;