Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/242

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auquel je ne préférasse le néant, et, ce qui vous paraîtra bien inconséquent, c’est que quand j’aurais la dernière évidence d’y devoir rentrer, je n’en aurais pas moins d’horreur pour la mort. Expliquez-moi à moi-même, éclairez-moi, faites-moi part des vérités que vous découvrirez ; enseignez-moi le moyen de supporter la vie, ou d’en voir la fin sans répugnance. Vous avez toujours des idées claires et justes ; il n’y a que vous avec qui je voudrais raisonner ; mais, malgré l’opinion que j’ai de vos lumières, je serai fort trompée si vous pouvez satisfaire aux choses que je vous demande.

Votre petit imprimé m’a fait plaisir. J’admire votre gaieté ; vous n’en auriez pas tant si vous étiez dans ce pays-ci. On dit que Jean-Jacques ne fait pas un grand effet en Angleterre. On y est un peu plus occupé de l’affaire des colonies que de lui, de ses ouvrages, de sa servante, et de son habit d’Arménien.

Le président vous fait mille tendres compliments, et moi, monsieur, je vous dis, avec la plus grande vérité, que je vous aime tendrement.


6280. — À M. JABINEAU DE LA VOUTE.
À Ferney, 1er mars.

Je vous conjure, monsieur, de n’avoir pas tant raison[1] ; je vous demande en grâce de ne point fournir des armes à nos adversaires. Songeons d’abord qu’il est très-certain que la comédie fut instituée comme un acte de religion à Rome ; que ce fut une fête pour apaiser les dieux dans une contagion ; que ni Roscius ni Æsopus ne furent infâmes. La profession d’un acteur n’était pas celle d’un chevalier romain ; mais la différence est grande entre l’infamie et l’indécence.

Permettez-moi de distinguer encore entre les comédiens et les mimes. Ces mimes étaient des bateleurs, des Arlequins. Apulée, dans son Apologie, distingue l’acleur comique, l’acteur tragique, et le mime ; ce dernier n’avait ni brodequin ni cothurne ; il se barbouillait le visage, fuligine faciem obductus ; il paraissait pieds nus, planipes. Ce métier était méprisable et méprisé : Corpore ridetur ipso (dit Cicéron, de Oratore).

Ne pourriez-vous donc pas abandonner aux mimes l’infamie, en donnant aux autres acteurs une place honnête ? Ne pouvez-vous pas tirer un grand parti, monsieur, du titre Mathematicos ? On déclare les mathématiciens infâmes sous les empereurs romains ; mais on n’entend pas les mathématiciens véritables ; on n’entend que les astrologues et les devins. Ainsi, par ceux qui montaient sur le théâtre, et qu’on diffame, tâchons d’entendre

  1. Voyez les lettres 6258 et 6259.