Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/246

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Après avoir fait le petit jurisconsulte et le petit politique, il faut parler du tripot. Le jeune ex-jésuite a toujours de grands remords d’avoir choisi un sujet qui ne déchire pas le cœur, et qui ne prête pas assez à la pantomime. Plus ce jeune homme se forme, plus il voit combien les choses sont changées. Il s’aperçoit que la politique n’est pas faite pour le théâtre, que le raisonnement ennuie, que le public veut de grands mouvements, de belles postures, des coups de théâtre incroyables, de grands mots, et du fracas. M. de Chabanon m’a fait lire Virginie et Éponine ; il est au-dessus de ses ouvrages. Il en veut faire un troisième, mais il faut un sujet heureux, comme il fallait au cardinal Mazarin un général houroux[1] ; sans cela on ne tient rien.

Respect et tendresse.


6283. — À M. FYOT DE LA MARCHE[2].
(père.)
À Ferney, le 3 mars 1766.

Mon cher et respectable magistrat, je ne vous écris jamais, parce qu’ayant enterré ma vieillesse et mes maladies dans une retraite profonde, je n’aurais eu à vous parler que de mon tendre attachement dont vous ne doutez pas ; mais j’ai appris dans mes déserts que vous aviez été malade, il y a deux mois, dans votre beau château de la Marche. M. d’Argental ne m’en avait rien dit. Le danger que vous avez couru rompt mon silence et me ranime. Je suis tout étonné d’être en vie, mais je veux que vous viviez. Je suis un peu votre aîné, et je n’ai pas votre vigoureuse constitution. C’est à vous qu’il appartient d’étendre votre belle carrière. Je sais que votre philosophie vous fait regarder la fin de la vie avec la résignation qui doit nous soumettre tous aux lois de la nature ; mais enfin, vous ne pouvez vous empêcher d’aimer une vie dans laquelle vous n’avez donné que des exemples de vertu.

Pour moi, je crois, avec votre ami Pont-de-Veyle, qu’il faut s’amuser jusqu’au dernier moment. Avez-vous encore vos artistes auprès de vous, et ce graveur dont j’ai oublié le nom[3] et dont j’aimais les dessins, malgré les dégoûtés de Paris qui n’en ont pas voulu ? Je voudrais qu’à votre recommandation il me

  1. Les Italiens prononcent ou la diphtongue eu.
  2. Éditeurs Bavoux et François.
  3. De Vosge.