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ANNÉE 1766.
6391. — À M. HENNIN.
À Ferney, 8 juillet.

Tout malade que je suis, mon cher monsieur, il faudra probablement que je reçoive dans ma puante et délabrée maison un prince[1] victorieux : et aimable. Heureusement il est philosophe, monsieur l’ambassadeur l’est aussi, vous l’êtes aussi.

Pouvons-nous sans indiscrétion, Mme Denis et moi, supplier Son Excellence de vouloir bien nous protéger de sa présence, et d’amener M. le prince de Brunswick ? Nous leur donnerons du lait de nos vaches, du miel de nos abeilles, et des fraises de notre jardin. Négociez cette affaire avec Son Excellence ; mettez-moi à ses pieds ; dites-lui qu’après qu’il se sera crevé avec le prince par sa trop bonne chère, il est juste qu’il vienne jeûner le lendemain à la campagne, respirer un air pur, et oublier les tracasseries genevoises et les cuisiniers français.

Je ne sais point le jour, j’ignore la marche de M. le prince de Brunswick ; j’ignore même si son projet est de dîner dans ma caserne. Mettez-moi au fait ; ayez la bonté de le prévenir sur l’état d’un vieillard infirme. Vous me ressuscitez quelquefois par votre gaieté, secourez-moi par vos bontés. Mon cœur et mon estomac vous sont dévoués. V.


6392. — DE M. HENNIN[2].
À Genève, le 9 juillet 1766.

Ce n’est pas le tout, monsieur, que d’être philosophe, il faut être exact, surtout quand on est ambassadeur. Voilà pourquoi Son Excellence ne pourrait pas vous promettre d’aller dîner à Ferney quand sa santé le lui permettrait. Un prince d’Allemagne et un ambassadeur de France sont d’ordinaire assez incompatibles. L’un et l’autre ont des droits qui ne sont stipulés nulle part, et des prétentions que bien des gros livres n’ont point éclaircies. Je ne suis pas, moi chétif, sans avoir aussi quelques entraves ; mais je saurai les secouer pour me rendre dans ce château que vous dénigrez tant depuis qu’il prend la forme d’un palais. M. de Taulès sera vraisemblablement de la partie, à moins que les affaires ne le retiennent ici.

Ou assure que M. le prince de Brunswick sera ici ce soir ou demain ; c’est tout ce que j’en sais. Je souhaite fort, monsieur, être à portée de m’acquitter vis-à-vis de ce prince de ce que vous paraissez désirer de ma

  1. Le prince de Brunswick.
  2. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M, Hennin, 1825.