Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/396

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doit être la douceur et la modération. Elle doit plaindre la fin tragique d’un jeune homme qui a commis une extravagance ; elle doit démontrer la rigueur excessive d’une loi faite dans un temps grossier et ignorant ; mais il ne faut pas que la philosophie encourage à de pareilles actions, ni qu’elle fronde des juges qui n’ont pu prononcer autrement qu’ils l’ont fait.

Socrate n’adorait pas les Deos majores et minores gentium ; toutefois il assistait aux sacrifices publics. Gassendi allait à la messe, et Newton au prône.

La tolérance, dans une société, doit assurer à chacun la liberté de croire ce qu’il veut ; mais cette tolérance ne doit pas s’étendre à autoriser l’effronterie et la licence de jeunes étourdis qui insultent audacieusement à ce que le peuple révère. Voilà mes sentiments, qui sont conformes à ce qu’assurent la liberté et la sûreté publique, premier objet de toute législation.

Je parie que vous pensez, en lisant ceci : Cela est bien allemand, cela se ressent bien du flegme d’une nation qui n’a que des passions ébauchées.

Nous sommes, il est vrai, une espèce de végétaux en comparaison des Français : aussi n’avons-nous produit ni Jérusalem délivrée, ni Henriade. Depuis que l’empereur Charlemagne s’avisa de nous faire chrétiens en nous égorgeant, nous le sommes restés ; à quoi peut-être a contribué notre ciel toujours chargé de nuages, et les frimas de nos longs hivers.

Enfin prenez-nous tels que nous sommes : Ovide s’accoutuma bien aux mœurs des peuples de Tomes ; et j’ai assez de vaine gloire pour me persuader que la province de Clèves vaut mieux que le lieu où le Danube se jette par sept bouches dans la mer Noire[1]. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.


Fédéric.

6459. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
13 auguste.

Il est vrai, mes divins anges, que j’ai été saisi de l’indignation la plus vive, et en même temps la plus durable ; mais je n’ai point pris le parti qu’on suppose. J’en serais très-capable si j’étais plus jeune et plus vigoureux ; mais il est difficile de se transplanter à mon âge, et dans l’état de langueur où je suis. J’attendrai, sous les arbres que j’ai plantés, le moment où je n’entendrai plus parler des horreurs qui font préférer les ours de nos montagnes à des singes et à des tigres déguisés en hommes.

Ce qui a fait courir le bruit dont vous avez la bonté de me parler, c’est que le roi de Prusse m’ayant mandé qu’il donnerait

  1. Le roi de Prusse, qui était plein de Boileau, se rappelait propablement le 138e vers du chant troisième de l’Art poétique :

    Par sept bouches l’Euxin reçoit le Tanaïs.