Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/402

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Tout le mal est venu d’une abbesse dont un vieux scélérat a été jaloux, et le roi n’a jamais su la cause véritable de cette horrible catastrophe. La voix du public indigné s’est tellement élevée contre ce jugement atroce que les juges n’ont pas osé poursuivre le procès après l’exécution du chevalier de La Barre, qui est mort avec un courage et un sang-froid étonnant, et qui serait devenu un excellent officier.

Des avocats m’ont mandé qu’on avait fait jouer dans cette affaire des ressorts abominables. J’y suis intéressé par ce Dictionnaire philosophique qu’on m’a très-faussement imputé. J’en suis si peu l’auteur que l’article Messie, qui est tout entier dans le Dictionnaire encyclopédique, est d’un ministre protestant, homme de condition, et très-homme de bien ; et j’ai entre les mains son manuscrit, écrit de sa propre main.

Il y a plusieurs autres articles dont les auteurs sont connus ; et, en un mot, on ne pourra jamais me convaincre d’être l’auteur de cet ouvrage. On m’impute beaucoup de livres, et depuis longtemps je n’en fais aucun. Je remplis mes devoirs ; j’ai, Dieu merci, les attestations de mes curés et des états de ma petite province. On peut me persécuter, mais ce ne sera certainement pas avec justice. Si d’ailleurs j’avais besoin d’un asile, il n’y a aucun souverain, depuis l’impératrice de Russie jusqu’au landgrave de Hesse, qui ne m’en ait offert. Je ne serais pas persécuté en Italie ; pourquoi le serais-je dans ma patrie ? Je ne vois pas quelle pouriait être la raison d’une persécution nouvelle, à moins que ce ne fût pour plaire à Fréron.

J’ai encore une chose à vous dire, mon héros, dans ma confession générale : c’est que je n’ai jamais été gai que par emprunt. Quiconque fait des tragédies et écrit des histoires est naturellement sérieux, quelque Français qu’il puisse être. Vous avez adouci et égayé mes mœurs, quand j’ai été assez heureux pour vous faire ma cour. J’étais chenille, j’ai pris quelquefois des ailes de papillon ; mais je suis redevenu chenille.

Vivez heureux, et vivez longtemps : voilà mon refrain. La nation a besoin de vous. Le prince de Brunswick se désespérait de ne vous avoir pas vu ; il convenait avec moi que vous êtes le seul qui ayez soutenu la gloire de la France. Votre gaieté doit être inaltérable ; elle est accompagnée des suffrages du public, et je ne connais guère de carrière plus belle que la vôtre.

Agréez mes vœux ardents et mon très-respectueux hommage, qui ne finira qu’avec ma vie.