Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est point là un discours académique, c’est un excellent ouvrage d’éloquence et de philosophie. Autrefois nous donnions pour sujet du prix des textes faits pour le séminaire de Saint-Sulpice[1] ; aujourd’hui les sujets sont dignes de vous. Il est plaisant qu’à la suite d’un écrit si sublime il se trouve une approbation de deux docteurs : elle ne peut nuire pourtant à votre ouvrage ; il est admirable, malgré leur suffrage.

On ne lit plus Descartes, mais on lira son éloge, qui est en même temps le vôtre. Ah ! monsieur, que vous y montrez une belle âme et un esprit éclairé ! quel morceau que l’histoire de la persécution du nommé Voët contre Descartes ? Vous avez employé et fortifié les crayons de Démosthène pour peindre un coquin absurde qui ose poursuivre un grand homme. Vous m’avez fait un grand plaisir de ne pas oublier le petit conseiller de province, qui méprisait le philosophe son frère. Tout votre ouvrage m’enchante d’un bout à l’autre. Je vais le relire dès que j’aurai dicté ma lettre, car l’état où je suis me permet rarement d’écrire. Vous avez parfaitement séparé le génie de Descartes de ses chimères, et vous avez habilement montré combien l’auteur même des tourbillons était un homme supérieur.

On m’a dit que vous faites un poème épique sur le czar Pierre[2]. Vous êtes fait pour célébrer les grands hommes ; c’est à vous à peindre vos confrères. Je m’imagine qu’il y aura une philosophie sublime dans votre poëme. Le siècle est monté à ce ton-là, et vous n’y avez pas peu contribué.

Vous faites, dans votre Éloge de Descartes, un éloge de la solitude qui m’a bien touché. Plût à Dieu que vous voulussiez bien partager la mienne, et vivre, avec moi, comme un frère que l’éloquence, la poésie et la philosophie, m’ont donné ! J’ai dans ma masure un homme qui est comme moi votre admirateur, et avec qui je voudrais passer le reste de ma vie : c’est M. Damilaville, qu’un malheureux emploi de finance rappelle à Paris. Il vous dira quelle obligation je vous aurai si vous daignez venir tenir

  1. Ce n’était pas des questions de morale, mais de dévotion, que l’Académie donnait pour sujet des prix d’éloquence ; et elle ne manquait guère à mettre dans son programme quelques paroles de la Bible. Le sujet du prix pour 1758 était : « Il n’y a point de paix pour les méchants, suivant ces paroles d’Isaïe, chap. lvii. Non est pax impiis. » Ce fut le dernier sujet de ce genre. On proposa pour l’année 1759 l’Éloge du maréchal comte de Saxe, qui était mort le 30 novembre 1750. Thomas remporta le prix.
  2. Le czar Pierre Ier poëme. On n’a de cet ouvrage que quelques chants et quelques fragments, qui ont été imprimés pour la première fois, en 1802, dans les Œuvres posthumes de Thomas.