Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/92

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qui ne devraient jamais vous écrire. Vous voulez bien m’assurer que le temps ni ma négligence n’ont rien changé aux sentiments que j’ai toujours désiré mériter de votre part. C’est me soulager, mais je ne serai totalement tranquille sur ce point que quand je vous aurai convaincu que mon cœur était fait pour rencontrer le vôtre.

Il est vrai, monsieur, qu’après le tourbillon dans lequel j’ai vécu. Genève doit m’offrir une retraite plus philosophique que politique ; j’ai bien assez vu d’hommes et de choses pour avoir de quoi ruminer ; mais mon premier soin sera de vous écouter, et je croirai mon noviciat fini quand j’aurai enté vos réflexions sur le grand nombre de faits dont j’ai surchargé ma mémoire.

Vous êtes donc bien vieux. Nous n’en croyons rien ici, et pour cause. Vous restez chez vous ; mais l’Europe va vous y chercher. Je grossirai souvent le nombre de ceux que l’admiration rassemble à Ferney, et j’espère m’y distinguer par mon attachement pour le seigneur châtelain. Oui, monsieur, c’est bien plus encore comme homme sensible que comme amateur des belles choses que je me félicite de devenir votre voisin. J’oublie presque que vous avez peint l’amitié, pour ne penser qu’au bonheur de ceux qui jouissent chaque jour de la vôtre. J’ai l’honneur, etc.


6132. — À M.  Le COMTE D’ARGENTAL.
11 octobre.

J’ignore si l’un de mes anges est à Fontainebleau. Je ne sais ni quand ni comment je pourrai renvoyer à Lekain son Adélaïde, avec un bout de préface ; tout est prêt, les roués le sont aussi : mais faisons une réflexion. Les roués finissent à peu près comme Adélaïde. On cède au cinquième acte sa maîtresse à son rival. Ne pensez-vous pas qu’il faut mettre un intervalle entre les publications de ces deux pièces ? N’est-il pas convenable que l’on reprenne Adélaïde au retour de Fontainebleau une ou deux fois, pour favoriser le débit de l’édition au profil de Lekain ? S’il entend ses intérêts, il fera vendre l’ouvrage à la Comédie même, le jour de la dernière représentation ; et, s’il veut me faire plaisir, il ne demandera point de privilège, parce que ces inutiles pancartes ne servent qu’à faire naître des querelles entre ceux qui sont en possession d’imprimer mes sottises.

La nouvelle qu’on me donne pour sûre est-elle vrai ? On m’assure que M. le duc de Praslin veut se retirer après le voyage de Fontainebleau. Je conçois bien qu’un homme aussi sage que lui préfère une vie douce, avec ses amis, au tracas fatigant des affaires ; mais il me semble qu’il est encore trop jeune pour désirer ce repos, qui doit être la récompense d’un long travail.