Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/102

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pour avoir joué aux échecs avec lui, il y a plus de cinquante ans ; il pouvait me faire échec et mat cette fois-ci d’un seul mot.

Je ne puis plus rien faire aux Scythes ; je suis dans un état trop triste pour penser à des vers, et même à de la prose ; je suis anéanti. Les deux derniers exemplaires, que je vous ai envoyés par M. le duc de Praslin, peuvent être regardés comme mon testament. Il sera aisé à Lekain de faire porter sur les autres exemplaires les corrections qui sont dans ces derniers. J’aurais voulu finir ma carrière par quelque chose de plus fort et de plus digne de vous ; mais il est aussi difficile d’atteindre le but qu’il est aisé de l’apercevoir.

La critique est aisée, et l’art est difficile.

(Destouches.)

M. de Chauvelin n’a envoyé des idées ingénieuses pour le cinquième acte ; mais entre les choses ingénieuses et les théâtrales, il y a un espace immense. Une chose dont je répondrais, c’est que si on joue le cinquième acte comme Mme de La Harpe, il fera plaisir aux Parisiens. Enfin j’ai jeté mes filets en votre nom, et je ne dois plus qu’attendre paisiblement la fin du carnaval.

Respect et tendresse.

6725. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Ferney, 6 février.

Vraiment, mon cher ami, vous auriez bien raison de me venir voir ; j’appartiens de droit à présent à vos hôpitaux militaires. Nous sommes en guerre, je suis malade, et j’ai manqué un jour de bouillon. J’ai été bloqué par le cordon de troupes qui entoure Genève ; mais M. le duc de Choiseul a eu pitié de moi. Je ne m’en porte pas mieux ; je suis au milieu de trente lieues de neiges, impotent et perdant les yeux ; c’est mon revenu de tous les hivers. Je commence à me dégoûter fort de la retraite que j’ai choisie. Elle ne produit rien ; il n’y a de beau que le paysage, et cette beauté n’est pas pour les aveugles. Je ne sais comment les choses de ce monde sont arrangées, mais il me semble qu’on finit toujours tristement.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.