Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/120

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de quitter Ferney, ce n’aurait été que pour une autre solitude, et je ne pourrais jamais quitter la solitude que pour vous. Mon petit pays, que vous avez trouvé si agréable et si riant, et qui est en effet le plus beau paysage qui soit au monde, est bien horrible cet hiver ; et il devient presque inhabitable, si les affaires de Genève restent dans la confusion où elles sont. Toute communication avec Lyon et avec les provinces voisines est absolument interrompue, et la plus extrême disette en tout genre a succédé à l’abondance. Nos laboureurs, déjà découragés, ne peuvent même préparer les socs de leurs charrues. Notre position est unique : car vous savez que nous sommes absolument séparés de la France par le lac, et qu’il est de toute impossibilité que le pays de Gex puisse se soutenir par lui-même.

Je sais que chaque province a ses embarras, et qu’il est bien difficile que le ministère remédie à tout. Les abus sont malheureusement nécessaires dans ce monde. Je sens bien qu’il n’est pas possible de punir les Genevois sans que nous en sentions les contre-coups.

Je vous demande pardon de vous parler de ces misères, dans un temps où la perte que vous avez faite vous occupe tout entier, mais je ne vous dis un mot de ma situation que pour vous marquer l’envie extrême que j’aurais de pouvoir servir à vous consoler, si je pouvais être assez heureux pour vous revoir encore, et pour vous renouveler mon tendre et profond respect.

6743. — À M. BORDES[1].
À Ferney, 11 février.

Vous m’aviez ordonné, monsieur, de vous renvoyer par le coche les deux mauvais ouvrages jésuitiques, dans lesquels il y a des anecdotes curieuses, et qui fournissent beaucoup à l’art de profiter des mauvais livres ; mais il n’y a plus de coche, plus de voitures de Genève à Lyon, plus de communication. Ce qu’il y aurait de mieux à faire, à mon avis, serait d’acheter le nouvel exemplaire qu’on vous propose pour le rendre à votre dévote. Je le payerai très-volontiers, à la faveur d’une lettre de change que j’ai sur M. Scherer pour le payement des Rois.

Je crois que vous jugez très-bien M. Thomas en lui accordant de grandes idées et de grandes expressions.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.