Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/132

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Il vous en a nommé le premier magistrat.
Il vous eCe poste-là pour la finance
Il vous eNe vaut pas tant, comme je crois,
Il vous eQue la garde des sceaux de France ;
Il vouEt ce n’est pas la seule différence
Il vous eQui distingue ces deux emplois.
Il vous eChacun peut se croire capable
Il vous eDe bien garder ces derniers sceaux.
Il vouAussi voit-on à ce poste honorable
Prétendre à chaque instant des concurrents nouveaux.
Il vous eMais ici le cas est tout autre :
Il vous eVous n’aurez jamais de rivaux
Il vouAssez hardis pour demander le vôtre.

Il est bien vrai qu’il vous expose à recevoir de temps en temps des envois fâcheux, et à des lectures ennuyeuses. Mais vous usez sans doute du privilège des autres chanceliers, vous vous gardez bien de lire tous les placets qu’on vous adresse ; et quand vous vous y croiriez obligé en conscience, ce ne serait, après tout, qu’un des inconvénients de votre place. Il n’y en a point, comme vous savez, qui n’ait des amertumes. Ce n’est que dans l’Église qu’on trouve des bénéfices sans charge.

Si vous dérogez pour moi aux prérogatives de la vôtre, si vous daignez jeter un coup d’œil sur la Théorie des lois civiles[1], vous y trouverez peut-être bien des choses nouvelles ; mais il y en aura beaucoup aussi que vous avez sûrement pensées avant moi. Je vous ai assez lu, je vous ai assez bien compris, pour être certain que vous ne me blâmerez pas d’avoir combattu les opinions de M. de Montesquieu. J’ai rendu justice à son grand génie en attaquant ses erreurs. C’est un esprit brillant qui est sujet à de fréquentes éclipses. Je n’en dis pas à beaucoup près tout ce que j’en aurais pu dire : il me reste des matériaux pour plus d’un volume. J’aurai occasion de les placer dans la suite de mon ouvrage, si je remplis jamais le grand projet que j’ai formé, celui d’attaquer dans sa source la multiplicité des lois, des tribunaux, des coutumes, etc. ; de prouver que la simplicité, l’uniformité, sont ou doivent être les vrais ressorts de la politique, et que la complication ne fait que des monstres en tout genre. Vous sentez qu’en développant de pareils principes, il faudra souvent réfuter M. de Montesquieu, et c’est ce qui paraît aussi facile que nécessaire.

Je pense comme vous, monsieur, que la littérature, les arts, et tout ce qui y a rapport, sont des inventions très-utiles pour les riches, des ressources très-bonnes pour les hommes oisifs qui ont du superflu ; ce sont des hochets qui les amusent dans l’état d’enfance perpétuelle où les retient l’opulence. Leur vivacité s’exerce sur ces bagatelles qui les occupent. L’attention qu’ils y donnent les empêche de faire du développement de leurs forces un usage plus dangereux.

Mais je crois fermement qu’il n’en est pas ainsi de l’autre portion infiniment plus nombreuse de l’humanité que l’on appelle peuple. Ces hochets

  1. Ouvrage de Linguet, 1767, in-12 ; 1774, trois volumes in-12.