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Commentaire[1]. Je ne risque que cette demi-douzaine, crainte des écornifleurs. M. Servan, avocat général de Grenoble, a fait un discours très-pathétique sur le même sujet[2] ; il est imprimé, et vous l’avez peut-être vu. La raison et l’humanité commencent à percer de tous côtés. L’impératrice de Russie m’écrit ces propres mots[3] : Malheur aux persécuteurs ! ils méritent d’être mis au rang des furies. Mais tandis que la raison parle, le fanatisme hurle ; on poursuit Fantet ; on en poursuit bien d’autres. M. Le Riche se signale en faveur de Fantet. J’espère qu’il viendra à bout de mettre un frein à la persécution. Si j’étais plus jeune, si je pouvais agir, je ne laisserais pas accabler ainsi un infortuné. Je fais de loin ce que je puis, et c’est fort peu de chose.

Mme Denis vous fait bien ses compliments : je vous embrasse de tout mon cœur. Écr. l’inf…

6770. — À M. MARIOTT,
avocat général d’angleterre.
26 février.

Monsieur, je prends le parti de vous écrire par Calais plutôt que par la Hollande, parce que, dans le commerce des hommes comme dans la physique, il faut toujours prendre la voie la plus courte. Il est vrai que j’ai passé près de trois mois sans vous répondre ; mais c’est que je suis plus vieux que Milton, et que je suis presque aussi aveugle que lui. Comme on envie toujours son prochain, je suis jaloux de milord Chesterfield, qui est sourd[4]. La lecture me paraît plus nécessaire dans la retraite que la conversation. Il est certain qu’un bon livre vaut beaucoup mieux que tout ce qu’on dit au hasard. Il me semble que celui qui veut s’instruire doit préférer ses yeux à ses oreilles ; mais, pour celui qui ne veut que s’amuser, je consens de tout mon cœur qu’il soit aveugle, et qu’il puisse écouter des bagatelles toute la journée.

Je conçois que votre belle imagination est quelquefois très-ennuyée des tristes détails de votre charge. Si on n’était pas soutenu par l’estime publique et par l’espérance, il n’y a personne qui voulût être avocat général. Il faut avoir un grand

  1. Sur le Traité des Délits et des Peines ; voyez tome XXV, page 539.
  2. Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767. in-8o.
  3. Voyez lettre 6664.
  4. Voltaire a publié, en 1775, les Oreilles du comte de Chesterfield et le chapelain Goudman ; voyez tome XXI, page 577.