Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/147

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peut prendre ce parti ; mais, en général, ce n’est pas dans un accès de raison qu’on se tue.

Si vous voyez M. Franklin[1], je vous supplie, monsieur, de vouloir bien l’assurer de mon estime et de ma reconnaissance. C’est avec ces mêmes sentiments que j’ai l’honneur d’être avec beaucoup de respect, monsieur, votre, etc.

6771. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 27 février.

Madame, Votre Majesté impériale daigne donc[2] me faire juge de la magnanimité avec laquelle elle prend le parti du genre humain. Ce juge est trop corrompu et trop persuadé qu’on ne peut répondre que des sottises tyranniques à votre excellent mémoire. Ne pouvoir jouir des droits de citoyen parce qu’on croit que le Saint-Esprit ne procède que du Père me paraît si fou et si sot que je ne croirais pas cette bêtise si celles de mon pays ne m’y avaient préparé. Je ne suis pas fait pour pénétrer dans vos secrets d’État ; mais je serais bien attrapé si Votre Majesté n’était pas d’accord avec le roi de Pologne ; il est philosophe, il est tolérant par principe : j’imagine que vous vous entendez tous deux comme larrons en foire pour le bien du genre humain, et pour vous moquer des prêtres intolérants.

Un temps viendra, madame, je le dis toujours, où toute la lumière nous viendra du Nord[3] : Votre Majesté impériale a beau dire[4], je vous fais étoile, et vous demeurerez étoile. Les ténèbres cimmériennes resteront en Espagne ; et à la fin même, elles se dissiperont. Vous ne serez ni ognon, ni chatte, ni veau d’or, ni bœuf Apis ; vous ne serez point de ces dieux qu’on mange, vous êtes de ceux qui donnent à manger. Vous faites tout le bien que vous pouvez au dedans et au dehors. Les sages feront votre apothéose de votre vivant ; mais vivez longtemps, madame, cela

  1. Benjamin Franklin, né en 1706, mort en 1790.
  2. Dans la lettre 6664.
  3. Dans sa lettre du 22 décembre 1766, n° 6629, Voltaire avait dit à Catherine qu’elle était l’astre le plus brillant du Nord. Dans l’Épître qu’il lui adressa en 1771 (voyez tome X), il dit :

    C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière.

  4. Dans sa lettre n° 6664, Catherine refuse la place que Voltaire lui donne parmi les astres.