Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/154

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a guère que ceux qui ont souffert l’oppression qui la connaissent et la détestent. Ces enfants de la fortune, qu’elle a engourdis dans la prospérité, pensent que les maux du peuple sont exagération, que des injustices sont des méprises ; et pourvu que le premier ressort aille, il importe peu du reste.

Je souhaite, puisque la destinée du monde est d’être mené ainsi, que la guerre s’écarte de votre habitation, et que vous jouissiez paisiblement dans votre retraite d’un repos qui vous est dû, sous les ombrages des lauriers d’Apollon : je souhaite encore que, dans cette douce retraite, vous ayez autant de plaisir que vos ouvrages en ont donné à vos lecteurs. À moins d’être au troisième ciel[1], vous ne sauriez être plus heureux.

Fédéric.
6777. — À M. LACOMBE.
À Ferney, février.

Non, monsieur, vous n’êtes point mon libraire, vous êtes mon ami, vous êtes un homme de lettres et de goût, qui avez bien voulu faire imprimer un ouvrage d’un de mes autres amis[2], et qui voulez bien vous charger de donner une édition correcte des Scythes, dès que je pourrai vous faire connaître l’original.

La cruelle saison que nous éprouvons dans nos climats, monsieur, m’a réduit à un état qui ne m’a pas permis de répondre aussitôt que je l’aurais voulu à vos judicieuses lettres : je n’ai pu vous remercier de votre almanach[3], ni le lire. Les neiges, dans lesquelles je suis enterré, ont attaqué mes yeux plus violemment que jamais. On dit que c’était la maladie de Virgile ; je n’ai que cela de commun avec lui. Je n’ai ni son talent ni la faveur d’Auguste, et je ne crois pas que je soupe jamais avec M. de Laverdy, comme Virgile avec Mécène.

Je vous enverrai, n’en doutez pas, les Scythes, que je vous promets, et qui sont à vous. Je suis dans leur pays, et j’attends les dernières résolutions de quelques amis que j’ai à Babylone, pour savoir si l’impression doit précéder la représentation. Cette pièce réussira plus auprès des Français que les héros romains. Il y a

  1. « Au premier ciel. » (Œuvres posthumes, édit. de Berlin.)
  2. La tragédie du Triumvirat, que Voltaire voulait qu’on attribuât à un jésuite.
  3. Almanach philosophique en quatre parties, suivant la division naturelle de l’espèce humaine en quatre classes ; à l’usage de la nation des philosophes, du peuple des sots, du petit nombre des savants, et du vulgaire des curieux, par un auteur très-philosophe. À Goa, chez Dominique Ferox, imprimeur du grand inquisiteur, à l’Auto-da-fè, rue des Fous ; pour l’an de grâce 1767, in-12.