Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/172

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vertance dans l’Esprit des lois[1]. Très-peu de lecteurs sont attentifs ; on ne s’est point aperçu que presque toutes les citations de Montesquieu sont fausses. Il cite le prétendu Testament du cardinal de Richelieu, et il lui fait dire au chapitre v, dans le livre III, que s’il se trouve dans le peuple quelque malheureux honnête homme, il ne faut pas s’en servir. Ce testament, qui d’ailleurs ne mérite pas la peine d’être cité, dit précisément le contraire ; et ce n’est point au sixième, mais au quatrième chapitre.

Il fait dire à Plutarque que les femmes n’ont aucune part au véritable amour[2]. Il ne songe pas que c’est un des interlocuteurs qui parle ainsi, et que ce Grec, trop grec, est vivement réprimandé par le philosophe Daphneüs, pour lequel Plutarque décide. Ce dialogue est tout consacré à l’honneur des femmes ; mais Montesquieu lisait superficiellement, et jugeait trop vite.

C’est la même négligence qui lui a fait dire que le Grand Seigneur n’était point obligé par la loi de tenir sa parole[3] ; que tout le bas commerce était infâme chez les Grecs[4] ; qu’il déplore l’aveuglement de François Ier, qui rebuta Christophe Colomb[5], qui lui proposait les Indes, etc. Vous remarquerez que Christophe Colomb avait découvert l’Amérique avant que François Ier fût né.

La vivacité de son esprit lui fait dire au même endroit, livre XXI, chapitre xxii, que le conseil d’Espagne eut tort de défendre l’emploi de l’or en dorure. Un décret pareil, dit-il, serait semblable à celui que feraient les états de Hollande, s’ils défendaient la cannelle. Il ne fait pas réflexion que les Espagnols n’avaient point de manufactures ; qu’ils auraient été obligés d’acheter les étoffes et les galons des étrangers, et que les Hollandais ne pouvaient acheter ailleurs que chez eux-mêmes la cannelle, qui croît dans leurs domaines.

Presque tous les exemples qu’il apporte sont tirés des peuples inconnus du fond de l’Asie, sur la foi de quelques voyageurs mal instruits ou menteurs.

Il affirme[6] qu’il n’y a de fleuve navigable en Perse que le Cyrus : il oublie le Tigre, l’Euphrate, l’Oxus, l’Araxe, et le Phase,

  1. On trouve dans divers ouvrages de Voltaire des critiques de l’Esprit des lois ; voyez la note, tome XX, page 1.
  2. Livre II, chapitre ix, note 2.
  3. Livre III, chapitre ix.
  4. Livre IV, chapitre viii.
  5. Livre XXI, chapitre xxii.
  6. Il y a dans Montesquieu, livre XXIV, chapitre xxvi : « M. Chardin dit qu’il n’y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n’est le fleuve Kur. »