Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/184

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au père, à la mère, et aux deux filles, sept livres dix sous par tête chaque mois, et veut bien continuer cette aumône pour le temps de son voyage à Paris ; mais Genève n’a rien donné.

Vous avez cité l’impératrice de Russie, le roi de Pologne, le roi de Prusse, qui ont secouru cette famille si vertueuse et si persécutée. Vous ne pouviez savoir alors que le roi de Danemark, le landgrave de Hesse, Mme la duchesse de Saxe-Gotha, Mme la princesse de Nassau-Saarbruck, Mme la margrave de Baden, Mme la princesse de Darmstadt, tous également sensibles à la vertu et à l’oppression des Sirven, s’empressèrent de répandre sur eux leurs bienfaits. Le roi de Prusse, qui fut informé le premier, se hâta de m’envoyer cent écus, avec l’ordre de recevoir la famille dans ses États, et d’avoir soin d’elle.

Le roi de Danemark, sans même être sollicité par moi, a daigné m’écrire, et a fait un don considérable. L’impératrice de Russie a eu la même bonté, et a signalé cette générosité qui étonne, et qui lui est si ordinaire ; elle accompagna son bienfait de ces mots énergiques, écrits de sa main : Malheur aux persécuteurs[1] !

Le roi de Pologne, sur un mot que lui dit Mme de Geoffrin, qui était alors à Varsovie, fit un présent digne de lui ; et Mme de Geoffrin a donné l’exemple aux Français, en suivant celui du roi de Pologne. C’est ainsi que Mme la duchesse d’Enville, lorsqu’elle était à Genève, fut la première à réparer le malheur des Calas. Née d’un père et d’un aïeul illustres pour avoir fait du bien, la plus belle des illustrations, elle n’a jamais manqué une occasion de protéger et de soulager les infortunés avec autant de grandeur d’âme que de discernement : c’est ce qui a toujours distingué sa maison, et je vous avoue, monsieur, que je voudrais pouvoir faire passer jusqu’à la dernière postérité les hommages dus à cette bienfaisance, qui n’a jamais été l’effet de la faiblesse.

Il est vrai qu’elle fut bien secondée par les premières personnes du royaume, par de généreux citoyens, par un ministre[2] à qui on n’a pu reprocher encore que la prodigalité en bienfaits, enfin par le roi lui-même, qui a mis le comble à la réparation que la nation et le trône devaient au sang innocent.

La justice rendue sous vos auspices à cette famille a fait plus d’honneur à la France que le supplice de Calas ne nous a fait de honte.

  1. Voyez la lettre de Catherine II, du 9 janvier, n° 6664.
  2. Le duc de Choiseul.