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bien la renvoyer au parlement de Paris. Je compte alors sur la candeur, sur le zèle, sur la justesse d’esprit de mon gros goutteux[1], que j’embrasse de tout mon cœur, aussi bien que sa mère.

Vivez tous sainement et gaiement ; il n’y a que cela de bon.

Nouvelles tracasseries encore de la part des commis, et point de justice ; et je partirai, mais gardez-moi le secret, car je crains la rumeur publique. Je vous embrasse tous bien tendrement.

6824. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
5 Avril.

Sire, je ne sais plus quand les chiens qui se battent pour un os, et à qui on donne cent coups de bâton, comme le dit très-bien Votre Majesté[2], pourront aller demander un chenil dans vos États[3]. Tous ces petits dogues-là, accoutumés à japper sur leurs paliers, deviennent indécis de jour en jour. Je crois qu’il y a deux familles qui partent incessamment, mais je ne puis parler aux autres, la communication étant interdite par un cordon de troupes dont on vante déjà les conquêtes. On nous a pris plus de douze pintes de lait[4], et plus de quatre paires de pigeons. Si cela continue, la campagne sera extrêmement glorieuse. Ce ne sont pourtant pas les malheurs de la guerre qui me font regretter le temps que j’ai passé auprès de Votre Majesté.

Je ne me consolerai jamais du malheur qui me fait achever ma vie loin de vous. Je suis heureux autant qu’on peut l’être dans ma situation, mais je suis loin du seul prince véritablement philosophe. Je sais fort bien qu’il y a beaucoup de souverains qui pensent comme vous ; mais où est celui qui pourrait faire la Préface[5] de cette Histoire de l’Église ? Où est celui qui a l’âme assez forte et le coup d’œil assez juste pour oser voir et dire qu’on peut très-bien régner sans le lâche secours d’une secte ? Où est le prince assez instruit pour savoir que depuis dix-sept cents ans la secte chrétienne n’a jamais fait que du mal ?

  1. Son petit-neveu d’Hornoy.
  2. Dans la fable intitulée les Deux Chiens et l’Homme ; voyez page 146.
  3. M. de Voltaire voulait alors que Wesel servît d’asile aux proscrits de Genève. Il avait essayé, quelque temps auparavant, d’y établir une colonie de philosophes français. (K.)
  4. Voyez lettre 6681.
  5. C’est l’Avant-propos par le roi de Prusse : voyez tome XLIV, page 203.