Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
CORRESPONDANCE.

pour une âme comme la vôtre. Je suis bien sensiblement touché des dispositions où vous êtes de sacrifier votre temps, et même votre santé, pour rapporter et pour juger l’affaire des Sirven, dans le temps que vous êtes enfoncé dans le labyrinthe de la Caïenne. Nous vous supplions, Sirven et moi, de ne vous point gêner. Nous attendrons votre commodité avec une patience qui ne nous coûtera rien, et qui ne diminuera pas assurément notre reconnaissance. Que cette malheureuse famille soit justifiée à la Saint-Jean ou à la Pentecôte, il n’importe ; elle jouit du moins de la liberté et du soleil, et l’intendant de la Caïenne n’en jouit pas. C’est au plus malheureux que vous donnez bien justement vos premiers soins ; et je suis encore étonné que, dans la multitude de vos affaires, vous ayez trouvé le temps de m’écrire une lettre que j’ai relue plusieurs fois avec autant d’attendrissement que d’admiration. Pénétré de ces sentiments et d’un sincère respect, j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

6826. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, 6 avril.

Je vous remercie, mon cher maître, de l’ouvrage de mathématiques[1] que vous m’avez envoyé ; il aurait grand besoin d’un errata, étant rempli de fautes, dont quelques-unes sont absurdes. Je désirerais fort que vous pussiez faire parvenir à l’auteur une douzaine d’exemplaires pour quelques bons mathématiciens de ses amis. J’imagine que la première partie de l’ouvrage aura été réimprimée, en même temps que le supplément, sur l’exemplaire que vous avez reçu corrigé de la main de l’auteur : il se flatte que les imprimeurs y auront moins fait de bévues que dans l’impression du manuscrit.

Le cinquième volume de mes Mélanges ne paraît point encore ici, grâce à la négligence de l’imprimeur Bruyset, de Lyon, qui n’en a point encore envoyé. Les matières que j’y ai traitées et la manière dont elles le sont me mettront à l’abri de la criaillerie des fanatiques, qui devient ici plus odieuse et plus importune que jamais. Cette vermine est une vraie plaie d’Égypte, et qui par malheur a l’air de durer longtemps. Ils sont actuellement aux trousses de Marmontel, qui, je crois, s’est trop avancé avec eux, et qui aura de la peine à s’en tirer. Ils ont écrit un gros volume de censures pour expliquer ou plutôt pour embrouiller leur barbare et ridicule doctrine. J’ai lu avec grand plaisir une certaine Anecdote sur Bélisaire[2], où cette maudite et plate engeance est traitée comme elle le mérite. J’aurais voulu seulement que l’auteur eût ajouté un petit compliment de

  1. L’ouvrage de d’Alembert Sur la Destruction des jésuites en France.
  2. L’Anecdote sur Bélisaire, tome XXVI, page 109.