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ANNÉE 1767

injurieuse pour la mémoire de mon mari. Quoiqu’on vous fasse parler, je n’aurai jamais à rougir de vous imputer la moindre phrase de ce libelle : toute l’infamie en est due à mes ennemis, qui en cela sont aussi les vôtres ; eh ! qui dans ce monde n’en a pas ? Combien même ne vous en ont pas suscité vos vertus, et surtout vos sublimes talents ! Mais du moins vous les avez vaincus ou forcés au silence. Puissé-je par votre secours en faire autant des miens ! Il n’est pas possible que votre âme bienfaisante ne me rende justice, dès que j’aurai eu l’honneur de vous instruire du sujet de mes justes plaintes, et c’est à vous seul que j’en appelle.

Je commence, monsieur, par vous attester sur ce que j’ai de plus cher, c’est-à-dire votre estime, et vos bontés elles-mêmes, que mon mari a toujours été dans le principe de ne jamais rien imprimer de vos ouvrages, ni même aucun de ceux qui se trouvent chez moi, qu’il n’y ait été formellement autorisé par le droit le plus légitime, et les titres qu’il m’a laissés en sont la preuve incontestable.

Je n’ai pas oublié qu’il y a trois ou quatre ans qu’il eut l’honneur de vous écrire pour vous faire part qu’il avait acquis de MM. Prault père et fils, Bareche, Lambert, etc., le droit que vous avez bien voulu leur donner d’imprimer vos pièces de théâtre, et qu’en conséquence il se proposait sous votre bon plaisir d’en faire un corps complet. Vous eûtes la générosité de lui répondre, et de lui donner votre agrément[1]. Vous poussâtes même la complaisance jusqu’à lui marquer que rien ne vous était plus agréable que la réunion de vos pièces dans une seule maison.

Depuis ce temps-là il reçut de Manheim l’Olympie ; de Genève, l’Écossaise et le Droit du seigneur. De plus, M. Lekain m’a vendu Adélaïde du Guesclin, quoique je l’eusse déjà payée à M. Lambert, sous le titre de Duc de Foix. Tout cela nous a coûté plus de 20,020 francs. Je sais bien que vous n’avez pas touché cet argent, mais je ne l’ai pas moins compté à gens qui vous représentaient, ou du moins qui tenaient ces ouvrages de votre générosité. Eh ! qui ne croira pas (puisque rien n’est si beau que le don) qu’ils étaient en droit de traiter avec moi de vos présents ?

D’après cet exposé, vous entrevoyez, monsieur, qu’on n’a pas plus épargné mon nom que mes intérêts et la mémoire de mon mari. Je mériterais seule l’infamie dont on s’efforce de le couvrir si je n’intéressais ici votre équité naturelle à me faire justice. Les expressions honnêtes dont on se sert

  1. Dans une lettre de Colini au libraire Duchesne, datée de Manheim 18 août 1764, et qui est reproduite dans le Dernier Volume des œuvres de Voltaire, Colini transmet à Duchesne une permission ainsi conçue :

    « Le sieur Duchêne, libraire de Paris, m’ayant demandé mon consentement pour l’impression de mes œuvres, je ne puis que lui en témoigner ma satisfaction, à condition qu’il se conformera à la dernière édition de Genève, et qu’il fera soigneusement corriger les fautes d’impression.

    « Fait au château de Ferney, le 31 juillet 1764.
    « Voltaire. »

    Colini accepte, pour sa rémunération, cinquante exemplaires dans leur nouveauté et francs de port.