Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/24

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les belles scènes de ses opéras, et l’un de ceux qui s’exprimèrent avec le plus de pureté comme avec le plus de grâce. Vous n’assurez point, comme tant d’autres, que Quinault ne savait que sa langue. Nous avons souvent entendu dire, Mme Denis et moi, à M. de Beaufrant son neveu, que Quinault savait assez de latin pour ne lire jamais Ovide que dans l’original, et qu’il possédait encore mieux l’italien. Ce fut un Ovide à la main qu’il composa ces vers harmonieux et sublimes de la première scène de Proserpine (acte I, scène i) :

Ils Les superbes géants armés contre les dieux
Ils Les sNe nous donnent plus d’épouvante ;
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu’ils entassaient pour attaquer les cieux.
Nous avons vu tomber leur chef audacieux
Ils Les sSous une montagne brûlante.
Jupiter l’a contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflammés de sa rage expirante.
Ils Les sJupiter est victorieux,
Et tout cède à l’effort de sa main foudroyante.

S’il n’avait pas été rempli de la lecture du Tasse, il n’aurait pas fait son admirable opéra d’Armide. Une mauvaise traduction ne l’aurait pas inspiré.

Tout ce qui n’est pas, dans cette pièce, air détaché, composé sur les canevas du musicien, doit être regardé comme une tragédie excellente. Ce ne sont pas là de

… Ces lieux communs de morale lubrique
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique[1].

On commence à savoir que Quinault valait mieux que Lulli. Un jeune homme d’un rare mérite[2], déjà célèbre par le prix qu’il a remporté à notre Académie, et par une tragédie[3] qui a mérité son grand succès, a osé s’exprimer ainsi en parlant de Quinault et de Lulli :

Aux dépens du poëte on n’entend plus vanter
De ces airs languissants la triste psalmodie,
Que réchauffa Quinault du feu de son génie[4].

  1. Boileau, satire x vers 141-142.
  2. La Harpe.
  3. Le comte de Warwick, joué le 7 novembre 1763.
  4. Discours sur les préjugés et les injustices littéraires, par La Harpe, vers 42-41.