Nous jouons donc plus souvent les Scythes en Scythie qu’à Paris ? C’est en essayant mon habit de Sozame que je présente encore ma requête à M. et Mme d’Argental, à M. de Thibouville, à M. de Chauvelin (à qui je n’ai pas encore pu faire réponse), et à toutes les belles dames qui se sont imaginé qu’Obéide doit commencer par un beau monologue sur son amour adultère pour un homme marié, qui a voulu l’enlever et en faire une fille entretenue : monologue qui certainement jetterait de l’indécence, du froid et du ridicule sur tout son rôle.
De l’indécence, parce qu’elle ne doit pas balancer lorsqu’elle croit son amant marié ; du froid, parce que les combats secrets qu’elle éprouve ensuite ne seraient qu’une répétition de ce que son monologue aurait dit ; du ridicule, parce que alors elle serait forcée de dire, dans son entrevue avec Athamare : « Ah ! ah ! votre femme est donc morte ? Tant mieux ; tirez-moi d’ici au plus vite, et allons nous marier à Ecbatane. »
D’ensevelir mes jours dans ce désert sauvage[1].
Cela seul, dit de la manière dont Mme de La Harpe le récite, fait cent fois plus d’effet qu’un monologue, qui est presque toujours du remplissage.
Ah ! si vous aviez deux vieillards attendrissants ! Non, vous dis-je, cette pièce n’a jamais été bien jouée que par nous. J’avertirai toujours qu’il faut qu’Obéide pleure à ces vers :
Laisse dans ces déserts ta fidèle Obéide…
Quand je dois tant haïr ce funeste Athamare[2]…
Si tout finit pour moi, toi seul en es la cause ;
Toi seul m’as condamnée à vivre en ces déserts.
Ah ! c’est pour mon malheur !…
Va, c’est toi qui reviens pour m’arracher le cœur[3].
Et puis, quand son père lui dit :
Mais qu’il parte à l’instant ; que jamais sa présence
N’épouvante un asile ouvert à l’innocence[4] ;