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CORRESPONDANCE.

Pologne pour établir la tolérance et la liberté de conscience. C’est une chose unique dans l’histoire de ce monde, et je vous réponds que cela ira loin. Je me vante à vous d’être un peu dans ses bonnes grâces : je suis son chevalier envers et contre tous. Je sais bien qu’on lui reproche quelque bagatelle au sujet de son mari[1] ; mais ce sont des affaires de famille dont je ne me mêle pas ; et d’ailleurs, il n’est pas mal qu’on ait une faute à réparer cela engage à faire de grands efforts pour forcer le public à l’estime et à l’admiration, et assurément son vilain mari n’aurait fait aucune des grandes choses que ma Catherine fait tous les jours.

Il me prend envie, madame, pour vous désennuyer, de vous envoyer un petit ouvrage concernant Catherine[2], et Dieu veuille qu’il ne vous ennuie pas ! Je m’imagine que les femmes ne sont pas fâchées qu’on loue leur espèce, et qu’on les croie capables de grandes choses. Vous saurez d’ailleurs qu’elle va faire le tour de son vaste empire. Elle m’a promis de m’écrire des extrémités de l’Asie ; cela forme un beau spectacle.

Il y a loin de l’impératrice de Russie à nos dames du Marais, qui font des visites de quartier. J’aime tout ce qui est grand, et je suis fâché que nos Welches soient si petits. Nous avons pourtant encore un prodigieux avantage : c’est qu’on parle français à Astracan, et qu’il y a des professeurs en langue française à Moscou. Je trouve cela plus honorable encore que d’avoir chassé les jésuites. C’est une belle époque sans doute que l’expulsion de ces renards ; mais convenez que Catherine a fait cent fois plus en réduisant tout le clergé de son empire à être uniquement à ses gages.

Adieu, madame ; si j’étais à Paris, je préférerais votre société à tout ce qui se fait en Europe et en Asie.

6889. — À M. ***,
pour remettre au comte de wargemont[3].
À Ferney, 20 mai.

Je suis bien malade, monsieur, et la santé de Mme Denis est aussi un peu altérée ; ainsi nous comptons sur l’indulgence de M. le comte de Wargemont, quand il aura la bonté de venir dans

  1. Voyez tome XV, page 351.
  2. La Lettre sur les Panégyriques ; voyez tome XXVI, page 307.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François. — Le comte de Wargemont était colonel en second de la légion de Soubise, plus tard brigadier et maréchal de camp. Lors des troubles de Genève, en 1767, il vint à Ferney à la tête de sa légion.