Je fus très-consolé, monsieur, quand le roi de Prusse daigna me mander[1] qu’il vous ferait du bien. Il a rempli sur-le-champ ses promesses, et j’ai l’honneur de lui écrire aujourd’hui[2] pour l’en remercier du fond de mon cœur. Il est assurément bien loin de penser comme vos infâmes persécuteurs. Je voudrais que vous commandassiez un jour ses armées, et que vous vinssiez assiéger Abbeville. Je ne sais rien de plus déshonorant pour notre nation que l’arrêt atroce rendu contre des jeunes gens de famille, que partout ailleurs on aurait condamnés à six mois de prison.
Le nonce[3] disait hautement a Paris que l’Inquisition elle-même n’aurait jamais été si cruelle. Je mets cet assassinat à côté de celui des Calas, et immédiatement au-dessous de la Saint-Barthélémy. Notre nation est frivole, mais elle est cruelle. Il y a peut-être dans la France sept à huit cents personnes de mœurs douces et de bonne compagnie qui sont la fleur de la nation, et qui font illusion aux étrangers. Dans ce nombre il s’en trouve toujours dix ou douze qui cultivent les arts avec succès. On juge de la nation par eux ; on se trompe cruellement. Nos vieux prêtres et nos vieux magistrats sont précisément ce qu’étaient les anciens druides, qui sacrifiaient des hommes : les mœurs ne changent point.
Vous savez que M. le chevalier de La Barre est mort en héros[4]. Sa fermeté noble et simple, dans une si grande jeunesse, m’arrache encore des larmes. J’eus hier la visite d’un officier de la légion de Soubise, qui est d’Abbeville. Il m’a dit qu’il s’était donné tous les mouvements possibles pour prévenir l’exécrable catastrophe qui a indigné tous les gens sensés de l’Europe. Tout ce qu’il m’a dit a bien redoublé ma sensibilité. Quelle religion, monsieur, qu’une secte absurde qui ne se soutient que par des bourreaux, et dont les chefs s’engraissent de la substance des malheureux !
Servez un roi philosophe, et détestez à jamais la plus détestable des superstitions.