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CORRESPONDANCE.

gées de réparer toutes les injustices exercées par le plus fort sur le plus faible. J’aime en vous, de préférence même à vos talents, que j’admire, ce penchant qui vous porte à protéger le faible et à secourir l’opprimé. Vos belles actions, en ce genre, dureront autant que vos ouvrages : on ne pourra pas dire que vous ayez cru que la vertu n’était qu’une chimère. Mais on dit que vous vous êtes amusé à faire dans notre langue la Secchia rapita[1]. Si cela est assez grave pour moi, faites-m’en part. J’attends vos Scythes mieux imprimés. J’aime toujours les lettres ; elles m’ont fait plus de bien que je ne leur ai fait d’honneur. Mille entraves m’ont empêché de m’y livrer entièrement ; rien ne m’empêchera de les honorer, de les chérir, ni d’admirer ni d’aimer de tout mon cœur celui qui, dans notre siècle, les a cultivées avec tant de supériorité. Vale.

6919. — À M. LE COMTE DE LAURENCIN.
Au château de Ferney, le 24 juin.

Monsieur, j’ai été très-touché de votre lettre. Je dois à la sensibilité que vous me témoignez l’aveu de l’état où je me trouve. Je me suis retiré, il y a environ treize ans, dans le pays de Gex, près de la Franche-Comté, où j’ai la plus grande partie de ma fortune ; mais mon âge, ma faible santé, les neiges dont je suis entouré huit mois de l’année dans un pays d’ailleurs très-riant, et surtout les troubles de Genève et l’interruption de tout commerce avec cette ville, m’avaient fait penser à faire une acquisition dans un climat plus doux. On m’a offert vingt maisons dans le voisinage de Lyon. Tout ce que vous voulez bien m’écrire, et votre façon de penser, qui me charme, me détermineraient à préférer votre château, pourvu que vous n’en sortissiez pas : mais j’ai avec moi tant de personnes dont je ne puis me séparer que ma transmigration devient très-difficile : car, outre une de mes nièces, à qui j’ai donné la terre que j’habite, j’ai marié une descendante du grand Corneille à un gentilhomme du voisinage ; ils logent dans le château avec leurs enfants. J’ai encore deux autres ménages dont je prends soin ; un parent impotent[2], qu’on ne peut transporter ; un aumônier auparavant jésuite[3] ; un jeune homme[4] que M. le maréchal de Richelieu m’a confié ; un domestique trop nombreux ; et enfin je suis obligé de gou-

  1. Le Tassoni a place dans l’invocation en tête de la Guerre civile de Genève ; voyez tome IX.
  2. Daumart.
  3. Le Père Adam.
  4. C. Galien.