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ANNÉE 1767

été fort communs. Le duc de Beaufort, général des armées de la Fronde, avait tué en duel le duc de Nemours. Le fils du duc de Guise avait voulu se battre en duel avec le grand Condé. Vous verrez, dans les Lettres de Pellisson[1], que Louis XIV lui-même demanda s’il lui serait permis en conscience de se battre contre l’empereur Léopold.

Je ne serais point étonné que l’électeur, tout tolérant qu’il était (ainsi que tout prince éclairé doit l’être), ait reproché, dans sa colère, au maréchal de Turenne son changement de religion, changement dont il ne s’était avisé peut-être que dans l’espérance d’obtenir l’épée de connétable, qu’il n’eut point. Un prince tolérant, et même très-indifférent sur les opinions qui partagent les sectes chrétiennes, peut fort bien, quand il est en colère, faire rougir un ambitieux qu’il soupçonne de s’être fait catholique romain par politique, à l’âge de cinquante-cinq ans : car il est probable qu’un homme de cet âge, occupé des intrigues de cour, et, qui pis est, des intrigues de l’amour et des cruautés de la guerre, n’embrasse pas une secte nouvelle par conviction. Il avait changé deux fois de parti dans les guerres civiles ; il n’est pas étrange qu’il ait changé de religion.

Je ne serais point encore surpris de plusieurs ravages faits en différents temps dans le Palatinat par M. de Turenne ; il faisait volontiers subsister ses troupes aux dépens des amis comme des ennemis. Il est très-vraisemblable qu’il avait un peu maltraité ce beau pays, même en 1664, lorsque le roi de France était allié de l’électeur, et que l’armée de France marchait contre la Bavière. Turenne laissa toujours à ses soldats une assez grande licence. Vous verrez, dans les Mémoires du marquis de La Fare[2], que, vers le temps même du cartel, il avait très-peu épargné la Lorraine, et qu’il avait laissé le pays messin même au pillage. L’intendant avait beau lui porter ses plaintes, il répondait froidement : « Je le ferai dire à l’ordre. »

Je pense, comme vous, que la teneur des lettres de l’électeur et du maréchal de Turenne est supposée. Les historiens malheureusement ne se font pas un scrupule de faire parler leurs héros. Je n’approuve point dans Tite-Live ce que j’aime dans Homère. Je soupçonne la lettre de Ramsay[3] d’être aussi apocryphe que

  1. Lettres historiques de M. Pellisson, Paris, 1729, trois volumes in-12, tome II, page 6.
  2. Amsterdam, J.-F. Bernard, 1755, in-12, page 162.
  3. Histoire du vicomte de Turenne (par Ramsay), Paris 1735, deux volumes in-4° ; la lettre est tome II, page 515.