Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/48

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or, ce ton n’est autre chose que l’art de ne blesser aucune bienséance. Moquez-vous donc, tant que vous voudrez, de l’insolence, de la vanité, de la hardiesse, si communes aujourd’hui et si déplacées. Vos récréations en ce genre contribuent à la bonne santé, et corrigent l’impertinence de nos mœurs. Il est plaisant que l’orgueil s’élève, à mesure que le siècle baisse : aujourd’hui presque tous les écrivains veulent être législateurs, fondateurs d’empires, et tous les gentilshommes veulent descendre des souverains. On passait autrefois ces chimères aux grandes maisons ; elles seules en avaient le privilège exclusif : aujourd’hui tout le monde s’en mêle. Riez de tout cela, et faites-nous rire ; mais il est digne du plus beau génie de la France de terminer sa carrière littéraire par un ouvrage qui fasse aimer la vertu, l’ordre, la subordination, sans laquelle toute société est en trouble. Rassemblez ces traits de vertu, d’humanité, d’amour du bien général, épars dans vos ouvrages, et composez-en un tout qui fasse aimer votre âme autant qu’on adore votre esprit. Voilà mes vœux de cette année, ils ne sont pas au-dessus de vos forces, et vous trouverez dans votre cœur, dans votre génie, dans votre mémoire si bien ornée, tout ce qui peut rendre cet ouvrage un chef‑d’œuvre. Ce n’est pas une pédanterie que je vous demande, ni une capucinade ; c’est l’ouvrage d’une âme honnête et d’un esprit juste.


6667. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
12 janvier.

Vous serez peut-être impatienté, mon adorable ange, de recevoir si souvent de mes lettres ; mais c’est que je suis bien affligé d’en recevoir si peu de vous. Pardonnez, je vous en conjure, aux inquiétudes de Mme Denis et aux miennes.

Voyez encore une fois dans quel embarras cruel nous a jetés le délai de parler à monsieur le vice-chancelier, que dis-je, mon cher ange, de lui faire parler ? On s’est borné à lui faire écrire, et il n’a reçu la lettre de recommandation qu’après avoir porté l’affaire à un bureau de conseillers d’État. Voilà certainement de ces occasions où M. le duc de Praslin aurait pu parler sur-le-champ, interposer son crédit, donner sa parole d’honneur, et finir l’affaire en deux minutes.

Vous me mandates quelque temps auparavant, à propos de M. de Sudre, que les ministres s’étaient fait une loi de ne point se compromettre pour leurs amis, et de ne se rien demander les uns aux autres. Ce serait assurément une loi bien odieuse que l’indifférence, la mollesse et un amour-propre concentré en soi‑même, auraient dictée. Je ne puis m’imaginer qu’on n’ait de

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.