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CORRESPONDANCE.
7126. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.

Je suis aveugle et sourd ; ainsi, monsieur, je ne vois et n’entends plus ce qu’on peut faire et dire contre moi.

Votre estime me dédommage du tort que me font mes ennemis. Ces messieurs m’ont pris pour ainsi dire au maillot, et me poursuivent jusqu’à l’agonie. Vous avez raison, monsieur, de me donner des conseils si honnêtes contre les premiers mouvements de la vengeance : on n’en est pas toujours le maître ; mais plus elle est vivement sentie, moins elle est durable, tant le moral dépend du physique de l’homme, presque toujours borné dans ses vices comme dans ses vertus. Je serais seulement fâché que Fréron se fît honneur de ma haine ; je ne me suis jamais oublié à ce point-là. Est-ce qu’on ne peut écraser un insecte qui nous jette son venin, sans commettre le péché de la colère, si naturel et si condamnable ? Conservez, monsieur, cette aimable philosophie qui fait plaindre les méchants sans les haïr, et qui vient si poliment adoucir les tourments de ma caducité dans ma solitude : sur les bords de mon tombeau, j’oppose à mes persécuteurs l’honneur de votre amitié. J’en mourrai plus tranquille.

L’Ermite de Ferney.
7127. — À M. DE CHABANON.
11 janvier.

Mon très-cher confrère, vous êtes assurément bien bon, quand vous travaillez à Eudoxie, de songer à la maîtresse de Prométhée[1]. Je suis persuadé que vous aurez été un peu en retraite pendant les grands froids, et qu’Eudoxie est actuellement bien avancée. L’empire romain est tombé, mais votre pièce ne tombera point.

Vous avez raison assurément sur ce potier de Prométhée qui ferait une fort plate figure lorsqu’on danserait et qu’on chanterait autour de Pandore, et qu’il resterait assis sur une banquette verte sans dire un mot à sa créature. Il n’y a, ce me semble, d’autre parti à prendre que de le faire en aller pendant le divertis-

  1. Pandore, opéra de Voltaire ; voyez tome III.