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l’écrire ; mais vous devinez aisément la personne[1]. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut s’attendre à tout dans cette vie, se tenir prêt à tout, savoir se sacrifier pour l’amitié, et se résigner à la fatalité aveugle qui dispose des choses de ce monde.

Cela n’empêchera pas que je ne vous envoie ma tragédie des Scythes pour votre carnaval, dès que vous m’en aurez donné l’ordre ; cela vous amusera, et il faut s’amuser.

Je vous demande très-humblement pardon de la prière que je vous ai faite[2] ; mais l’état où je suis m’y a forcé. Si je reste dans mes montagnes, nous serons obligés d’envoyer à dix lieues chercher des provisions, parce que la communication est interrompue avec Genève par des troupes ; nos fermiers se sont enfuis sans nous payer ; et, si je vais en Suisse et ailleurs, le secours que j’ai pris la liberté de vous demander ne me sera pas moins nécessaire.

Je suis bien de votre avis quand vous me marquez que Galien[3] n’est pas encore en état de faire l’histoire du Dauphiné ; mais je pense qu’il est très à propos de lui laisser amasser les matériaux qu’il trouve dans ma bibliothèque, et dans celles de plusieurs maisons de Genève, où on se fait un plaisir de l’aider dans ses recherches. Il travaille beaucoup, et même avec passion ; il cultive sa mémoire, qui est, comme tout le monde en conviendra, tout à fait étonnante ; et, s’il n’est pas un jour votre secrétaire, vous ne pourrez mieux faire que de le faire agréer à la Bibliothèque du roi, place très-conforme au genre d’étude vers lequel il se porte avec une espèce de fureur. Quand même je ne serais pas à Ferney, il pourra toujours assembler ses matériaux dans ma bibliothèque et dans celles dont je vous ai parlé ; après quoi son style, que je ne trouve rien moins que mauvais, venant à se perfectionner au bout de quelque temps, on le confiera à quelque savant bénédictin du Dauphiné, pour en tirer les anecdotes les plus curieuses pour l’embellissement de l’histoire de cette province, pour laquelle il a un violent penchant, et sur laquelle il a déjà huit portefeuilles d’anecdotes et de recherches qu’il a faites depuis son arrivée, sans compter ce qu’il avait déjà recueilli dans l’endroit[4] où vous l’avez si judicieusement tenu pendant deux ans, temps qu’il a mis à profit, contre l’ordinaire. Enfin j’augure

  1. D’Argental. Voltaire explique encore ici les choses à sa manière. (G. A.)
  2. Voltaire, créancier de Richelieu, avait demandé deux cents louis à son débiteur ; voyez lettre 6660.
  3. Voyez lettre 6530.
  4. Ce doit être quelque maison de correction.