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CORRESPONDANCE

Je plains beaucoup les sots qui se font persécuter pour Jean Calvin ; mais je hais cordialement les persécuteurs. Il y a plus de quatorze cents ans qu’on s’acharne en Europe pour des fadaises indignes d’être jouées aux marionnettes ; cette démence atroce, jointe à-tant d’autres, doit faire aimer la solitude ; et c’est du fond de cette solitude qu’un pauvre vieillard malade, qui n’a pas longtemps à vivre, vous présente, monsieur, les sentiments de reconnaissance, d’attachement, et de respect, dont il sera pénétré pour vous jusqu’au moment où il rendra aux quatre éléments sa très-chétive existence.

7187. — À M. DUTENS[1].
Ferney, 29 février.

Vous rendez, monsieur, un grand service à la littérature en imprimant toutes les œuvres de Leibnitz : vous faites à peu près comme Isis, qui rassembla, dit-on, les membres épars d’Osiris pour le faire adorer.

Peut-être mon culte pour les monades et pour l’harmonie préétablie n’est-il pas violent ; mais enfin Newton a commenté l’Apocalypse, et n’en est pas moins Newton. Leibnitz était un prodigieux polymathe, et, ce qui est bien plus, il avait du génie ; mais il y a encore loin de là à la vérité démontrée ; Newton a trouvé cette vérité,

Nec propius fas est mortali attingere divos[2].

    bigoterie barbare avait réduit la malheureuse fille de Sirven au désespoir ; du moins les juges de Calas et le capitoul David, moins obscurs que les persécuteurs de Sirven, ont-ils été punis par l’horreur et le mépris de l’Europe. On aurait désiré seulement que le sang répandu de l’innocent Calas eût du moins délivré sa patrie de l’opprobre que répandent sur elle, et cette procession des pénitents, où l’on célèbre le massacre de 1562, et les farces scandaleuses qu’ils y jouent. On avait droit d’espérer cette réforme nécessaire de l’archevêque actuel de cette ville, qui, calomnié lui-même avec fureur par les fanatiques, sait mieux que personne combien leur audace et l’impudence des hypocrites qui les conduisent peuvent encore être dangereuses. (K.) — L’archevêque de Toulouse dont on parle dans cette note est Etienne-Charles de Loménie de Brienne, depuis archevêque de Sens. (B.)

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — Dutens, né à Tours le 15 janvier 1730. Il donna en 1768 une édition des œuvres de Leibnitz, six volumes in-4°. Il est l’auteur des Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes, du Voyageur qui se repose, etc., ouvrages à la fois savants et spirituels ; mort en 1812.
  2. Dans l’édition Beuchot, on trouve à la date du 9 juin 1768 un billet analogue :


    « Monsieur, vous rendez un grand service aux lettres, et vous me faites un présent