Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/61

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dès que j’aurai sa réponse j’agirai fortement auprès du prince dont il dépend. Ce prince m’écrit tous les quinze jours ; il fait tout ce que je veux. Les choses dans ce monde prennent des faces bien différentes ; tout ressemble à Janus ; tout, avec le temps, a un double visage. Ce prince ne connait point Morival, sans doute ; mais il connaît très-bien son désastre. Il m’en a écrit plusieurs fois avec la plus violente indignation, et avec une horreur presque égale à celle que je ressens encore.

Il y a des monstres qui mériteraient d’être décimés. Je vous prie de me dire bien positivement si le premier mémoire[1] que vous eûtes la bonté de m’envoyer de la campagne est exactement vrai. En cas que le frère de Morival veuille fournir quelques anecdotes nouvelles, vous pourrez nous les faire tenir sous l’enveloppe de M. Hennin, résident du roi à Genève.

Vous savez que nous sommes actuellement environnés de troupes, comme de tracasseries. Nous mangeons de la vache : le pain vaut cinq sous la livre ; le bois est plus cher qu’à Paris. Nous manquons de tout, excepté de neige. Oh ! pour cette denrée, nous pouvons en fournir l’Europe. Il y en a dix pieds de haut dans mes jardins, et trente sur les montagnes. Je ne dirai pas que je prie Dieu qu’ainsi soit de vous.

Florianet[2] a écrit une lettre charmante, en latin, à père Adam. Je vous prie de le baiser pour moi des deux côtés. J’embrasse de tout mon cœur la mère et le fils.


6677. — DE M. HENNIN[3].
Genève, le 14 janvier 1767.

M. Dupuits, qui m’a vu sedentem in telonio[4], vous dira, monsieur, quelle est ma vie. Je suis aussi embarrassé que vous de savoir comment ceci finira. Vous connaissez ma façon de penser sur ces affaires, qui n’ont pas peut-être été menées comme nous l’avions espéré. Vous pouvez être sûr que je me vais jeter à la traverse de tout mon pouvoir ; mais je crains qu’il ne soit bien tard. D’ailleurs, il y a ici de la part des représentants des manœuvres très-punissables. Je vous en dirai davantage quand je pourrai quitter ma prison ; mais je suis bloqué comme les autres, quoique par des motifs différents. J’attends de vos nouvelles avec impatience, et j’ai prié. M. Dupuits

  1. Voyez, tome XLIV, page 348, l’Extrait d’une lettre d’Abbeville.
  2. Florian, auteur d’Estelle, etc.
  3. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.
  4. Vidit hominem sedentem in telonio. (Saint Matthieu, chap. ix. verset 9.)