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6688. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
À Ferney, 19 janvier 1767.

Monsieur, il y a environ six semaines que j’ai reçu cent bouteilles de vin sans aucun avis, et comme nous sommes bloqués actuellement de tous côtés par les soldats[2]2 et par les neiges, il ne m’est pas possible de savoir d’où ce vin nous est venu. Je soupçonne que c’est vous qui me l’avez envoyé, et je voudrais savoir ce que je vous dois. Plût à Dieu que votre bonté pût dous consoler dans la disette extrême où nous sommes de tout ce qui est nécessaire à la vie ; nous manquons de tout sans aucune exagération. Nous sommes précisément à Ferney comme dans une ville assiégée. Je ne m’attendais pas à soutenir ici les horreurs de la guerre dans mes derniers jours. Cela serait bien plaisant, si cela n’était pas insupportable.

Je vous supplie de me mettre aux pieds de Mme Le Bault, de monsieur le premier président, et de monsieur le procureur général.

J’ai l’honneur d’être, avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.

6689. — À MADAME LA MARQUISE DE BOUFFLERS.
À Ferney, 21 janvier.

Madame, non-seulement je voudrais faire ma cour à Mme la princesse de Beauvau, mais assurément je voudrais venir, à sa suite, me mettre à vos pieds dans les beaux climats où vous êtes ; et croyez que ce n’est pas pour le climat, c’est pour vous, s’il vous plaît, madame. M. le chevalier de Boufflers, qui a ragaillardi mes vieux jours, sait que je ne voulais pas les finir sans avoir eu la consolation de passer avec vous quelques moments. Il est fort difficile actuellement que j’aie cet honneur : trente pieds de neige sur nos montagnes, dix dans nos plaines, des rhumatismes, des soldats, et de la misère, forment la belle situation où je me trouve. Nous faisons la guerre à Genève ; il vaudrait mieux la faire aux loups, qui viennent manger les petits garçons. Nous

  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée, par Voltaire, signée par lui.
  2. À cause des troubles civils de Genève, la France avait fait occuper militairement la frontière.