Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/73

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à la scène d’Obéide et de son père, au cinquième acte. Nous pensons, comme vous, que cette scène trop longue refroidirait l’action. Le cinquième acte nous fait actuellement un grand effet.

Si je n’étais pas pressé par le temps et par des affaires bien cruelles, je vous apporterais peut-être quelques raisons pour faire voir qu’un dénoûment prévu par le spectateur ne peut jamais plaire que quand ce même dénoûment est prévu par les personnages à qui on crut le cacher ; je vous dirais que le spectateur ou le lecteur se met toujours, malgré lui-même, à la place des personnages : je vous en ferais voir cent exemples. Mais dans l’état où je suis, je vous avoue que je suis plus occupé de mes propres chagrins que de ceux d’Obéide. M. d’Argental vous a dit sans doute de quoi il s’agit. Il dit que vous pouvez tout auprès de M. de La Reynière. Il est très-aisé à M. de La Reynière de faire envoyer ailleurs un nommé Janin, qu’il est important d’éloigner de l’endroit où il est : ce Janin est un employé des fermes, contrôleur à un bureau nommé Sacconex, entre Gex et Genève. L’éloignement de cet homme, coupable de la perfidie la plus noire, était un préalable nécessaire qui seul pouvait me tirer d’une situation affreuse. Cet événement, joint au chagrin de me voir bloqué chez moi par des troupes pour les querelles des Genevois, un hiver intolérable, une santé ruinée, un âge avancé, un corps souffrant et affaibli, l’impossibilité de vivre où je suis et l’impossibilité de m’en aller, voilà ce qui compose actuellement ma destinée.

Votre lettre, monsieur, a été pour moi une consolation autant qu’une instruction. J’en profiterais davantage si ma pauvre âme avait dans ce moment quelque liberté ; il faut au moins qu’elle soit tranquille pour cultiver avec succès un art que vous me rendez cher par l’intérêt que vous daignez y prendre. Comptez que j’en prends un beaucoup plus vif à votre bonheur, à celui de Mme de Chauvelin et à toute votre famille. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie avec le plus tendre respect.


6692. — DE M. D’ALEMBERT.
Le 26 janvier.

J’ai d’abord, mon cher et illustre maître, mille remerciements à vous faire du nouveau présent que j’ai reçu de votre part, de vos excellentes note[1] sur le Triumvirat, que j’ai lues avec transport, et qui sont bien

  1. Voyez ces notes au bas du texte, tome VI, pages 181 et suivantes.