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ANNÉE 1768.

À l’égard des 3,500 livres de rente que la terre doit produire, je ne l’afferme que 1,200 livres en argent, et environ 300 livres en denrées. Ainsi je suis lésé de plus de moitié, et je ne m’en plains pas.

À l’égard du bois, vous l’avez affirmé de cent poses. Les arpenteurs du roi n’y ont trouvé que 39 arpents, mesure de Bourgogne, qui valent vingt-trois poses et demie[1] ; et de ces 23 poses et demie, vous faisiez couper la moitié par votre commissionnaire Charles Baudy, dans le temps même que vous me vendiez ce bois. Et vous dites dans le contrat que vous avez vendu cette partie à un marchand. Ainsi me voilà entièrement frustré du bois, et vous m’obligez encore de vous laisser à ma mort soixante arbres par arpent.

À l’égard des effets et meubles qui doivent sans exception vous appartenir à ma mort, vous voulez bien vous désister de cette clause qui seule pourrait rendre le contrat nul. Mais vous prétendez que tous les effets concernant l’agriculture vous appartiendront : cela n’est pas juste. Les meubles de mon malheureux fermier[2], qui perd dans son exploitation, ne doivent pas être à vous. Vous ne devez pas dépouiller des pauvres de leur unique bien. Ce n’est rien pour vous que quelques bœufs et quelques vaches avec de misérables ustensiles ; c’est tout pour eux.

Je vous demande un accommodement honnête. Je vous déclare que je suis prêt[3] d’en passer par l’arbitrage des membres du parlement ou des avocats que vous choisirez vous-même.

Vous me répondez que Warburton sait l’histoire orientale, que Corneille est une lune et que je ne suis qu’une étoile. Il ne s’agit pas ici de savoir si les influences de cette étoile ont été utiles aux descendants de Corneille ; il s’agit que je puisse vivre et mourir chez moi, en attendant que ce chez moi soit chez vous. Il n’y a aucun fétiche qui puisse en être offensé.

Vous me dites que je n’ai nulle envie de demeurer à Tournay ; et moi je vous répète, monsieur, que je veux y habiter ; et voici ce que je demande :

  1. L’arpent des eaux et forêts est au contraire à peu près le double de la pose, et l’arpent coutumier est a la pose comme 41,90 est 27. Cela est matériel. (Th. F.)
  2. Voltaire savait bien qu’il ne s’agissait pas des meubles du fermier, mais bien des instruments d’agriculture et des bestiaux, tous objets incorporés à la terre, ayant été remis par M. de Brosses à Voltaire à l’entrée en jouissance de celui-ci, et devant être rendus a son décès comme appartenant à la catégorie des choses que notre législation civile déclare immeubles par destination. (Th. F.)
  3. Voltaire écrivait toujours prêt de devant un verbe. Voyez tome XIV, la note 1 de la page 418.