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CORRESPONDANCE

Enfin il a fallu que M. Spallanzani, le meilleur observateur de l’Europe, ait démontré aux yeux le faux des expériences de cet imbécile Needham. Je l’ai comparé[1] à ce Malcraisde La Vigne, gros vilain commis de la douane au Croisic en Bretagne, qui fit accroire aux beaux esprits de Paris qu’il était une jolie fille faisant joliment des vers.

Mon cher marquis, il n’y a rien de bon dans l’athéisme. Ce système est fort mauvais dans le physique et dans le moral. Un honnête homme peut fort bien s’élever contre la superstition et contre le fanatisme : il peut détester la persécution ; il rend service au genre humain s’il répand les principes humains de la tolérance : mais quel service peut-il rendre s’il répand l’athéisme ? les hommes en seront-ils plus vertueux, pour ne pas reconnaître un Dieu qui ordonne la vertu ? non sans doute. Je veux que les princes et leurs ministres en reconnaissent un, et même un Dieu qui punisse et qui pardonne. Sans ce frein, je les regarderai comme des animaux féroces qui, à la vérité, ne me mangeront pas lorsqu’ils sortiront d’un long repas, et qu’ils digéreront doucement sur un canapé avec leurs maîtresses ; mais qui certainement me mangeront, s’ils me rencontrent sous leurs grilles quand ils auront faim ; et qui, après m’avoir mangé, ne croiront pas seulement avoir fait une mauvaise action ; ils ne se souviendront même point du tout de m’avoir mis sous leurs dents, quand ils auront d’autres victimes.

L’athéisme était très-commun en Italie, aux xve et xvie siècles : aussi, que d’horribles crimes à la cour des Alexandre VI, des Jules II, des Léon X ! Le trône pontifical et l’Église n’étaient remplis que de rapines, d’assassinats, et d’empoisonnements. Il n’y a que le fanatisme qui ait produit plus de crimes.

Les sources les plus fécondes de l’athéisme sont, à mon sens, les disputes théologiques. La plupart des hommes ne raisonnent qu’à demi, et les esprits faux sont innombrables. Un théologien dit : Je n’ai jamais entendu et je n’ai jamais dit que des sottises sur les bancs : donc ma religion est ridicule. Or ma religion est sans contredit la meilleure de toutes ; cette meilleure ne vaut rien : donc il n’y a point de Dieu. C’est horriblement raisonner. Je dirais plutôt : Donc il y a un Dieu qui punira les théologiens, et surtout les théologiens persécuteurs.

Je sais très-bien que je n’aurais pas démontré au Normand de

  1. Voyez tome XXVII, page 159.