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CORRESPONDANCE

siciens. Notre nation est trop ridicule. Buffon s’est décrédité à jamais avec ses molécules organiques, fondées sur la prétendue expérience d’un malheureux jésuite. Je ne vois partout que des extravagances, des systèmes de Cyrano de Bergerac dans un style obscur ou ampoulé. En vérité, il n’y a que vous qui ayez le sens commun. Je relisais hier la Destruction des Jésuites ; je suis toujours de mon avis : je ne connais point d’ouvrage où il y ait plus d’esprit et de raison.

À propos, quand je vous dis que j’ai écrit à frère Damilaville, j’ignore s’il a reçu ma lettre, car elle était sous l’enveloppe du bureau où il ne travaille plus. Informez-vous-en, je vous prie ; dites-lui combien je l’aime, et combien je souffre de ses maux. Il doit être content, et vous aussi, du mépris où l’inf… est tombée chez tous les honnêtes gens de l’Europe. C’était tout ce qu’on voulait et tout ce qui était nécessaire. On n’a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes ; c’est le partage des apôtres. Il est vrai qu’il y a des gens qui ont risqué le martyre comme eux ; mais Dieu en a eu pitié. Aimez-moi, car je vous aime, mon très-cher philosophe, et je vous rends assurément toute la justice qui vous est due.

7327. — À M. DE LA MOTTE-GEFRARD.
À Ferney, 3 septembre.

Je suis, monsieur, dans un état si triste, j’éprouve de si longues et de si cruelles maladies, qui sont la suite de ma vieillesse, que je n’ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m’avez honoré. C’est une grande grâce sans doute, accordée par un grand roi, de permettre qu’on lui érige une statue.

Je trouve l’incription de M. le comte de Muy fort bonne et fort convenable. Je crois que si je m’avisais d’en faire une[1], il aurait lieu d’être mécontent. Les inscriptions, d’ailleurs, réussissent rarement dans notre langue. Permettez-moi de vous conseiller d’employer celle de M. de Muy Vous savez que le mieux est l’ennemi du bien ; et, de plus, il me serait bien difficile de faire ce mieux. Les bons vers sont des coups de hasard, et à mon âge on n’est pas heureux à ce jeu-là.

Comptez que ni ma vieillesse, ni mes maux, ne diminuent

  1. La Motte-Gefrard avait demandé à Voltaire une inscription pour la statue pédestre que le bailli d’Autan, gouverneur de l’île de Ré, avait érigée à Louis XV dans cette île.