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CORRESPONDANCE.

prouve, puisque c’est lui qui vous envoie ma lettre et la Princesse de Babylone[1].

Vous me demandez pourquoi j’ai chez moi un jésuite ; je voudrais en avoir deux ; et, si on me fâche, je me ferai communier par eux deux fois par jour. Je ne veux point être martyr à mon âge. J’ai beau travailler sans relâche au Siècle de Louis XIV, j’ai beau voyager avec une Princesse de Babylone, m’amuser à des tragédies et des comédies, être agriculteur et maçon, on s’obstine à m’imputer toutes les nouveautés dangereuses qui paraissent. Il y a un baron d’Holbach à Paris qui fait venir toutes les brochures imprimées à Amsterdam chez Marc-Michel Rey. Ce libraire, qui est celui de Jean-Jacques, les met probablement sous mon nom. Il est physiquement impossible que j’aie pu suffire à composer toutes ces rapsodies ; n’importe, on me les attribue pour les vendre.

J’ai lu la Relation[2] dont vous me parlez ; elle n’est point du tout sage et modérée, comme on vous l’a dit ; elle me paraît très-outrageante pour les juges. Jugez donc, mon cher ange, quel doit être mon état : calomnié continuellement, pouvant être condamné sans être entendu, je passe mes derniers jours dans une crainte trop fondée. Cinquante ans de travaux ne m’ont fait que cinquante ennemis de plus, et je suis toujours prêt à aller chercher ailleurs, non pas le repos, mais la sécurité. Si la nature ne m’avait pas donné deux antidotes excellents, l’amour du travail et la gaieté, il y a longtemps que je serais mort de désespoir.

Dieu soit béni, puisque Mme d’Argental se porte mieux : Je me recommande a ses bontés.



7723. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE[3].
2 avril.

Eh bien : il faut donc contenter la curiosité de votre amitié et celle de M. et de Mme d’Argental. Voici mes raisons : j’ai soixante-quatorze ans, je me couche à dix heures et je me lève à cinq ; je suis las d’elle l’aubergiste de l’Europe. Je veux mourir dans la retraite. Cette retraite profonde ne convient ni à Mme Denis, ni à la petite Corneille. Mme Denis l’a supportée, tant qu’elle a été

  1. Tome XXI, page 369.
  2. Relation de la mort du chevalier de La Barre, tome XXV, page 501.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.