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année 1768.

soutenue par des amusements et par des fêtes. Je ne puis plus suffire à la dépense d’un prince de l’empire et d’un fermier général. J’envoie Mme Denis se faire payer des seigneurs français, et je me charge des seigneurs allemands. Je suis actuellement fort à l’étroit, et je lui donne vingt mille francs de pension, en attendant qu’elle en ait trente-six mille, outre la terre de Ferney. Voilà, mon cher ami, à quoi tout se réduit. J’en suis fâché pour la calomnie, qui ne trouvera pas là son compte. J’en suis fâché pour Fréron et pour Mme Gilet[1] ; mais je ne puis qu’y faire. Je sais dans ma retraite tout ce que les gazettes ont publié de mensonges ; c’est le revenu de tous ceux qui ont le malheur d’être connus.

Dites aux anges, et soyez très-sûr, mon cher ami, que je brûle toutes les lettres dont on pourrait abuser à ma mort. Ne soyez pas moins sûr que, jusqu’à ce moment, mon cœur sera à vous et aux anges.

7224. — À M. BORDES.
À Ferney, 4 avril.

Le cher correspondant est supplié de vouloir bien faire mettre à la poste tous ces petits pistolets de poche. Il paraît, par tout ce qui nous revient, qu’on ne tire pas toujours sa poudre aux moineaux, et qu’on effraye quelquefois les vautours. Croyez-moi, servez la bonne cause, et Dieu vous bénira.

On vous envoie une Guerre[2]. L’archevêque d’Auch ne sera pas content[3] ; mais aussi il ne faut pas qu’un archevêque fasse d’un mandement[4] un libelle diffamatoire.

L’histoire du Bannissement des jésuites de la Chine[5] est une plaisanterie infernale de ce mathurin du Laurens, réfugié à Amsterdam chez Marc-Michel. C’est un drôle qui a quelque esprit, un peu d’érudition, et qui rencontre quelquefois. Il est auteur de la Théologie portative et du Compère Matthieu : j’avais peine à croire qu’il eût fait le Catéchumène[6]. Cet ouvrage me paraissait au-dessus de lui ; cependant on assure qu’il en est l’auteur. Ce qu’il y a de triste en France, c’est que des Frérons m’accusent d’avoir

  1. Bel esprit qui écrivait dans le journal de Fréron.
  2. La Guerre civile de Genève, tome IX.
  3. Voyez la note 2. tome IX. page 553.
  4. Voyez tome XXV, page 469.
  5. Voyez tome XXVII, page 1.
  6. Roman philosophique de Bordes.