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CORRESPONDANCE

Quid domini facient, audent quum talia fures ?

(Virg., ecl. III, v. 16.)

À l’égard du Siècle de Louis XIV, il me paraît augmenté de plusieurs morceaux bien intéressants ; et je ne m’étonne pas de ce que le roi de Danemark a eu le courage de dire à Fontainebleau que l’auteur lui avait appris à penser. On écrase ici ce jeune prince de fêtes et de plaisirs qui l’ennuient. Il voudrait, à ce qu’on assure, voir les gens de lettres à son aise, et converser avec eux ; mais le conseil supérieur a décidé, dit-on, qu’il fallait qu’il ne les vit pas. De toutes les académies, il n’a encore vu que celle de peinture. On lui est, je crois, bien obligé de venir faire diversion à l’affaire de Corse, où vous savez nos succès, qui viennent d’être couronnés par de nouveaux. Si Paoli venait ici, je ne connais de roi que le roi de Prusse qui attirât autant de curiosité.

Notre pauvre Damilaville est toujours dans un bien misérable état, souffrant de tous ses membres, sans appétit, ne pouvant se remuer, et digérer sans douleurs le peu qu’il mange pour se soutenir. Il me paraît à bout de patience, et je suis pénétré de sa triste situation. Je ne manquerai pas de donner à l’abbé de Condillac l’anecdote[1] que vous m’envoyez sur l’abbé d’Olivet, dont les mânes vous doivent bien de la reconnaissance de l’avoir placé dans votre ouvrage[2]. C’était un passable académicien, mais un bien mauvais confrère, qui haïssait tout le monde, et qui, entre nous, ne vous aimait pas plus qu’un autre. Je sais qu’il envoyait a Fréron toutes les brochures contre vous qui lui tombaient entre les mains ; mais,

Seigneur, Laïus est mort, laissons en paix sa cendre[3].

Adieu, mon cher et illustre confrère ; portez-vous bien, et continuez à vous moquer de toutes nos sottises.

7385. — À M. LE DUC DE CHOISEUL.
12 novembre.

Mon protecteur, daignez lire ceci, car ceci en vaut la peine. Ce n’est pas parce que la marmotte des Alpes a bientôt soixante--

    l’intéresser dans cette affaire. Bien loin d’aller contre les ordres de la Providence, c’est entrer dans ses vues que de recourir à un préservatif dont la bonté paraît constatée par des épreuves si souvent réitérées, et par les succès les plus constants. Tel est mon avis particulier. À Paris, le 6 octobre 1768. »

  1. Voyez lettre 7382.
  2. L’abbé d’Olivet et le président Hénault étaient les seuls auteurs vivants alors à qui Voltaire eût donné place, en 1768, dans le Catalogue des écrivains placé en tête du Siècle de Louis XIV.
  3. On lit dans Œdipe, acte II. scène ii :

    Seigneur, Laïus est mort, laissez en paix sa cendre.