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ANNÉE 1768.

si contente que je désirais de l’avoir à moi ; je vous en fais mille remerciements.

Je suis charmée, enchantée du Marseillois[1] ; je le relis sans cesse. En vérité, monsieur, je crois que vous n’avez rien fait de plus joli. Mon Dieu ! que vous êtes en vie ! Vous me donnez un conseil que vous ne prenez pas pour vous : vous ne méprisez ni le monde, ni la vie, et vous avez raison, vous tirez bon parti de l’un et de l’autre.

Vous mettez de la valeur à tout, tout vous affecte, tout vous anime ; vous anéantissez les Pompignan, les Riballier, les Fréron, etc. Vous voulez rajeunir le président ; vous excitez sa colère ; vous lui offrez de prendre sa défense, c’est un bon procédé ; mais, monsieur, vous auriez fait encore mieux de lui laisser ignorer l’offense. Il y avait plus de quatre mois que nous n’étions occupés qu’à lui dérober la connaissance de cette brochure, craignant l’effet qu’elle pourrait lui faire. Vous avez détruit toutes nos mesures ; heureusement il n’en a pas été fort troublé. Le grand succès de son livre (qui lui est fort prouvé) lui a fait mépriser cette critique. Il vous a répondu, ainsi je n’ai point à vous apprendre ce qu’il pense ; mais je vous dirai ce que pense le public. Personne ne croit que M. de Belestat en soit l’auteur ; on le connaît pour un homme très-borné, qui n’a ni esprit ni littérature, et ne sait même pas écrire une lettre. On juge que cet ouvrage est de plus d’une plume ; on y trouve du commun et du piquant. Cette brochure n’a pas fait grande fortune ici, et chacun pense qu’elle ne mérite pas qu’on la réfute et qu’on y réponde. Cependant, si vous voulez en prendre la peine, j’en serai fort aise, parce que j’aurai du plaisir à lire ce que vous écrirez. Laissez, laissez au président sa façon de penser ; si elle l’occupe, si elle le console, n’est-il pas trop heureux ? Est-il quelque chose dans la vie qui ne soit pas illusion ? celles qui donnent la paix et la tranquillité ne sont-elles pas préférables aux autres ? Vous l’avez dit vous-même, monsieur :

La paix, enfin, la paix que l’on cherche et qu’on aime,
Est encor préférable à la vérité même.

Remerciez le ciel ou la nature des immenses talents que vous en avez reçus ; ils vous mettent pour jamais à l’abri de l’ennui. Plaignez tous les autres mortels, il n’y en a aucun d’aussi bien partagé, et trouvez bon qu’ils s’accrochent où ils peuvent.

7405. — À M. LE PRINCE DE LIGNE.
À Ferney, 3 décembre.

Monsieur le prince, je suis enchanté de votre lettre, de votre souvenir ; vous réveillez l’assoupissement mortel dans lequel mon âge et mes maladies m’ont plongé. J’ai quelquefois combattu ma

  1. Le Marseillois et le Lion.