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CORRESPONDANCE

langueur par des plaisanteries qui sont, à ce que je vois, parvenues jusqu’à vous ; elles m’ont valu la jolie lettre dont vous m’honorez. Je m’aperçois que certaines plaisanteries sont bonnes à quelque chose : il y a trente ans qu’aucun gouvernement catholique n’aurait osé faire ce qu’ils font tous aujourd’hui. La raison est venue ; elle rend à la superstition les fers qu’elle avait reçus d’elle.

J’ai eu l’honneur d’avoir chez moi M. le duc de Bragance, que je crois votre beau-frère ou votre oncle, et qui me paraît bien digne de vous être quelque chose. Il pense comme vous ; et il n’y a plus que des universités comme celle de Louvain où l’on pense autrement. Le monde est bien changé.

Je crois M. d’Hermenches[1] actuellement à Paris : il ne doit pas être jusqu’ici trop content de l’expédition de Corse.

Puissiez-vous, monsieur le prince, ne vous faire jamais tuer par des montagnards ou par des housards ! Vivez très-longtemps pour les intérêts de l’esprit, des grâces, et de la raison.

Agréez mon sincère et tendre respect.

7406. — À M. LE COMTE. ANDRÉ SCHOUVALOW.
À Ferney, 3 décembre.

Voilà, monsieur, deux beaux ouvrages[2] contre le fanatisme ; voilà deux engagements pris, à la face du ciel et de la terre, de ne jamais permettre à la religion de persécuter la probité. Il est temps que le monstre de la superstition soit enchaîné. Les princes catholiques commencent un peu à réprimer ses entreprises ; mais, au lieu de couper les têtes de l’hydre, ils se bornent à lui mordre la queue : ils reconnaissent encore deux puissances, ou du moins ils feignent de les reconnaître : ils ne sont pas ;. hardis pour déclarer que l’Église doit dépendre uniquement des lois du souverain ; leurs sujets achètent encore des dispenses à Rome ; les évêques payent des annales à la chambre qu’on nomme apostolique ; les archevêques achètent chèrement un licou de laine qu’on nomme un pallium. Il n’y a que votre illustre souveraine qui ait raison : elle paye les prêtres, elle ouvre leur bouche, et la ferme ; ils sont à ses ordres, et tout est tranquille.

Je souhaite passionnément qu’elle triomphe de l’Alcoran

  1. Constant d’Hermenches.
  2. L’un de ces deux ouvrages doit être l’Instruction donnée par Catherine II à la commission établie pour travailler à la rédaction d’un nouveau code de lois.