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ANNÉE 1768.

comme elle a su diriger l’Évangile. Je suis persuadé que vos troupes battront les Ottomans amollis. Il me semble que toutes les grandes destinées se tournent vers vos climats. Il sera beau qu’une femme détrône des barbares qui enferment les femmes, et que la protectrice des sciences batte complètement les ennemis des beaux-arts. Puissé-je vivre assez longtemps pour apprendre que les eunuques du sérail de Constantinople sont allés filer en Sibérie ! Tout ce que je crains, c’est qu’on ne négocie avec Moustapba, au lieu de le chasser de l’Europe. J’espère qu’elle punira ces brigands de Tartarie, qui se croient en droit de mettre en prison les ministres des souverains. Le beau moment, monsieur, que celui où la Grèce verrait ses fers brisés ! Je voudrais recevoir une lettre de vous, datée de Corinthe ou d’Athènes. Tout cela est possible. Si Mahomet II a vaincu un sot empereur chrétien, Catherine II peut bien chasser un sot empereur turc. Vos armées ont battu des armées plus disciplinées que les janissaires. Vous avez pris déjà la Crimée, pourquoi ne prendriez-vous pas la Thrace ? Vous vous entendrez avec le prince Héraclius, et vous reviendrez après mettre à la raison les bons serviteurs du nonce du pape en Pologne.

Voilà quel est mon roman. Le courage de l’impératrice en fera une histoire véritable ; elle a commencé sa gloire par les lois, elle l’achèvera par les armes. Vivez heureux auprès d’elle, monsieur le comte ; servez-la dans ses grandes idées, et chantez ses actions.

Je présente mes respects à madame la comtesse de Schouvalow.

7407. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
5 décembre.

Le petit possédé demande bien pardon à son ange de le fatiguer continuellement des détails de son obsession. Voici un petit chiffon qui contient les changements demandés, ou du moins ceux qu’on a pu faire. Mais, quelque adoucissement qu’on puisse mettre au portrait des prêtres d’Apamée, le fond restera toujours le même, et c’est ce fond qui est à craindre. J’interpelle ici mes deux anges, et je m’en rapporte à leur conscience. N’est-il pas vrai que le nom du diable qui a fait cet ouvrage leur a fait peur ? n’est-il pas vrai que ce nom fatal a fait la même impression sur le philosophe Marin ? N’ont-ils pas jugé de la pièce par l’auteur, sans même s’en apercevoir ? Ce sont là les tristes